Sermons de minuit
6.9
Sermons de minuit

Série Netflix (2021)

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Depuis qu’une marée noire a détruit une partie de leurs ressources halieutiques, les 127 habitants de l’île de Saint-Patrick vivent dans une pauvreté que seule leur vie en autarcie, au sein d’une communauté soudée, leur permet de supporter. Alors que la paroisse catholique de l’île attend le retour de son évêque, parti en pèlerinage en terre sainte, voilà que débarque un jeune prêtre (Hamish Linklater), qui leur annonce que Mgr Pruitt est malade et retenu sur le continent. Mais rapidement, ce jeune prêtre très charismatique se révèle également très mystérieux, surtout lorsqu’il commence à faire des miracles indubitables… Pendant ce temps, une autre force étrange semble s’être installée sur l’île, attaquant ses habitants. Sur l’île de Saint-Patrick s’engage alors le grand combat entre le Bien et le Mal…


Quelques spoilers potentiels


Mike Flanagan est quelqu’un de très frustrant. Sa capacité à faire de l’horreur est indéniable, il l’a déjà montré maintes fois par le passé. Néanmoins, l’horreur n’est pas vraiment ce qui intéresse Flanagan en tant que telle, et c’est plutôt à son honneur. En effet, elle ne lui sert que de vecteur pour mieux dévoiler les failles intimes de ses personnages et développer ainsi un drame humain, souvent touchant. C’est ce qui faisait la réussite de Ne t’endors pas, et même de The Haunting of Hill House.
Pourtant, même si ces deux œuvres révélaient certaines failles béantes dans le style Flanagan, il fallut attendre The Haunting of Bly Manor pour que celles-ci apparaissent au grand jour : Mike Flanagan est un homme bavard, bien trop bavard. Et ce qui gâtait déjà Hill House détruisit Bly Manor, pourtant éminemment sympathique, égaré dans ses longues tirades verbeuses, interminables et surtout totalement vides. Les poncifs éculés que le réalisateur aiment tant y trouvaient une apogée pas franchement souhaitable…


C’est donc un peu dubitatif que je me suis engagé dans Sermons de minuit. Et c’est tout naturellement que j’ai été extrêmement surpris. Dans les premiers épisodes, Mike Flanagan se montre plus efficace que jamais. La lourde patte qu’on lui connaît s’était bien allégée par rapport à ses précédentes œuvres. Ses acteurs fétiches sont toujours là, et ils jouent toujours les mêmes personnages : le musulman victime du racisme de son entourage, la lesbienne obligée de se cacher, les parents qui ne savent plus établir le lien avec leurs enfants, le personnage égaré qui se révèle au fond très droit, etc.
Quand on connaît un peu Flanagan, on est donc en terrain très familier, malgré un cadre relativement dépaysant. Mais ce qui frappe, c’est la subtilité d’écriture, qui tranche avec la dernière série en date du réalisateur. Les relations entre les personnages sont extrêmement soignées (sauf peut-être autour de la fanatique Beverly Keane, trop unilatérale pour être intéressante), et le pensum indigeste qui achevait Bly Manor semble bien éloigné. Et c’est sans nul doute là que réside la plus grande réussite de Sermons de minuit.
Mike Flanagan se fait violence, tout au long de ses sept épisodes, pour ne pas tomber dans la facilité dans laquelle il aime se vautrer. Et c’est beau. Cela lui permet de développer des thèmes qui lui sont chers, avec une finesse absolument remarquable. Sans jamais juger ses personnages de prime abord (ou presque), en ayant recours à un vieux mythe de la littérature fantastique (qu'il s'autorise même à dévoiler dès le 3e épisode), le scénariste développe une réflexion étonnamment puissante sur la nature du Mal et sur la religion.


Alors qu’on craignait qu’il n’ait choisi la religion catholique comme cadre de son récit que pour mieux taper dessus sans se prendre de retour de bâton (puisqu’on sait que la religion catholique est une des rares qu’on peut critiquer sans risquer de fâcher personne), Flanagan montre au contraire qu’il a vraiment cherché à la cerner le mieux possible pour pouvoir la restituer dans toute sa complexité, et surtout sans esquiver les sujets cruciaux. Ces sujets sont même centraux dans la série : l’importance de la souffrance comme possible instrument de rédemption, le rôle du mystère, dont le but n’est pas d’être éclairci mais qu’il s’agit tout de même de comprendre au mieux, l’horreur de la tentation et la difficulté d’y résister, la beauté ambiguë de la communauté, cadre à la fois oppressant et rassurant…
Tous ces sujets, Flanagan les aborde avec une intelligence d’écriture franchement surprenante, mais très agréable. Révélant une assez bonne connaissance des mystères et des rites catholiques (même si on ne comprend pas bien pourquoi les paroissiens sont surpris de ne pas avoir de messe le Vendredi et le Samedi Saint, alors que c’est les deux jours de l’année où on n’en célèbre pas), le scénariste/réalisateur a le mérite d’affronter ces grands thèmes sans jamais se défiler. Et il en sort une des réflexions les plus fascinantes sur la foi et la religion qu’il m’ait été donné de voir.


A mon avis, le meilleur aspect de cette série, c’est lorsque Mike Flanagan met en scène le Mal et la fascination malsaine qu’il dégage. N’hésitant pas à nous emmener jusqu’au sommet du plus terrible des blasphèmes, le réalisateur montre mieux que n’importe qui comment le Démon peut utiliser toutes les ressources de la religion, pour les pervertir tout en ayant l’air de les maintenir, comment il prend toutes les apparences du Bien pour mieux attirer à lui des âmes égarées.
En poussant même les choses un peu plus loin, on pourrait largement attribuer cette représentation de la subversion des dogmes et des pratiques catholiques à… l’Eglise catholique elle-même ! En tous cas, l’Eglise d’après-Concile, celle qui, en voulant donner toute sa place à l’Homme, évacua Dieu de son propre camp. Et si on essaye d’analyser la portée métaphorique de cette série, alors le constat est implacable et terrible : ces hommes qui se prennent pour Dieu au point de vouloir donner leur propre sang à boire aux autres, n’est-ce pas une image assez saisissante de cet orgueil démesuré qui s’empara de l’Eglise au milieu du XXe siècle au point de faire dire à Paul VI : « Nous aussi, plus que quiconque, nous avons le culte de l’homme » ? Flanagan n’a sûrement jamais pensé à cela en écrivant sa série, mais malgré tout, le parallèle est plus justifié que jamais, tant le rapprochement sonne comme une évidence à qui connaît ses dossiers.
Sur la représentation du Mal qui se déguise en Bien, Sermons de minuit mérite toutes les félicitations, car elle constitue sans nul doute une des œuvres les plus complexes jamais écrites sur le sujet. Le malaise qui s’en dégage est alors le signe que la série touche en plein cœur de sa cible.


Sur la forme, Mike Flanagan a toujours été bon, et Sermons de minuit n’en est qu’une illustration supplémentaire. Ses plans-séquences, ses angles judicieux de caméra, et sa manière de glisser subrepticement un détail horrible ou macabre au détour d’une image anodine sont autant de manière de faire vivre une horreur assez bien menée.
On peut regretter, néanmoins, que le réalisateur n’essaye pas de s’éloigner des sentiers battus, tant ses (rares) scènes d’épouvante usent de procédés particulièrement éculés, du genre « j’allume trois fois une allumette, et la troisième fois, le démon apparaît », ou encore pire, le catastrophique « tiens, une voix mystérieuse m’appelle depuis une maison abandonnée plongée dans le noir, je vais rentrer dans la maison pour voir qui me fait une blague… ». Non seulement, on se demande si ça marche encore auprès de certains, mais surtout, on se demande qui peut croire que c’est une bonne idée de faire ça. Même James Wan est passé à autre chose !
En même temps, il faut bien avouer que cela donne à Sermons de minuit une petite touche de classicisme pas déplaisante. Et si la série ne fait jamais peur à cause de ses procédés trop classiques, elle garde une empreinte éminemment sympathique.
S’il faut trouver son bonheur dans la forme, outre une photographie très maîtrisée, donc, ce sera également dans le choix des décors, aussi charmants qu’effrayants, dans le jeu d’acteurs désormais rôdés à ce genre d’exercice, ou dans les magnifiques cantiques réarrangés par les Newton Brothers pour l’occasion.


Tout est parfait, donc, non ? Las ! C’est bien mal connaître Mike Flanagan que de croire qu’il pourrait faire un réel sans-fautes… Et le reproche qu’on lui a fait au début de cette critique, qu’on croyait avoir vu s’envoler au début de la série, revient en force quand on ne l’espère plus : dans le dernier quart d’heure du dernier épisode. Les monologues verbeux et ennuyants ressurgissaient au détour de certains épisodes, mais jamais de manière trop appuyée. En revanche, ce dernier quart d’heure…
Alors que Flanagan a mené jusqu’au bout sa réflexion sur la religion et le fanatisme, sur les dogmes et les croyances, sur le doute et la foi, c’est lorsqu’il s’attaque frontalement au problème de la mort que tout s’écroule de la pire des manières. Ainsi, au terme d’arcs narratifs particulièrement géniaux, car particulièrement cruels, il donne à sa femme, Kate Siegel, le pire monologue de la série, et peut-être le pire qu’il ait jamais écrit.
S’ensuit une scène terriblement ridicule où défilent tous les poncifs qu’on ait jamais entendus sur la mort qui n’est pas une fin mais juste un passage vers quelque chose de meilleur (quoi ? on ne saura jamais), sur le paradis, qui n’est pas un endroit mais juste une meilleure compréhension de soi-même et une relation améliorée aux autres, sur Dieu, qui n’est pas une personne, mais qui est l’univers dans son entier, ce qui ne ferait de nous rien d’autre qu’une petite partie de Dieu himself, etc…
Et tout finit dans un final tristement consensuel où chacun attend la mort, en priant Dieu, Allah, ou n’importe qui, puisque finalement, les religions ne comptent pas, ce qui compte, c’est la volonté des hommes à se diriger vers la vérité en étant juste et bon. Autrement dit, tout ce qu’on vous a montré pendant 6 épisodes et demi n’a servi à rien. Tout le monde, il est beau, tout le monde, il est gentil, et si vous voyez un jour une créature avec de grandes ailes de chauve-souris qui vous donne la vie éternelle, barrez-vous.


Bref. Sermons de minuit est une série magnifique, avec un final terriblement raté. Mais bon, une fois qu’on est arrivé, et qu’on a ce triste goût amer en bouche, on se retourne et on se dit que, malgré tout, la route fut belle, grandiose, puissante. Dans cette optique, alors Sermons de minuit peut être considéré comme une grande série, car après tout, ce n’est qu’un quart d’heure sur sept longues heures. Car peut-être qu’in fine, c’est parfois le voyage qui compte, plus que la destination.
Même si cela n’enlève rien à la tristesse de voir qu’à l’issue d’un si beau voyage, on est arrivé à la mauvaise destination.

Tonto
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le 9 févr. 2022

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