Sept épisodes qui plongent dans la Pennsylvanie ouvrière avec une histoire de vengeance. Pas vu Mare of Easttwon donc vraiment pas adepte d'Ingelsby mais avec quelques recherches et de le voir impliqué dans Out Of the Furnace ne me surprend pas vraiment, un peu plus concernant The Lost Bus que j'ai trouvé un peu braindead.
Bref, dans Task, on soulignera d'abord le cast qui fait vraiment vivre cette série (apparemment pensée comme une mini mais vu la réception, je pense qu'il y'a encore de la place pour faire vivre certains des personnages.) Ruffalo en premier, qui joue l'un des personnages principaux, Tom Brandis, ancien prêtre devenu agent FBI - gros bide, fatigué, qui revient au terrain après une tragédie familiale atroce découverte par fragments. Il chapeaute une task force censée stopper des braquages ultra-violents ciblant les trap-houses des Dark Hearts, gang de bikers qui contrôle le trafic local. Ruffalo livre une performance vraiment top tier quand on prend les autres rôles de sa carrière, et semble vraiment habité par ce personnage de flic usé. Il ressemble un peu à rien et Ruffalo joue l'usure sans forcer, en la mêlant à une forme de sagesse bienveillante et sang-froid calculé.
En face, Tom Pelphrey (première fois que je vois cet acteur et franchement peu à dire si ce n'est impressionnant) en Robbie Prendergrast, éboueur le jour et braqueur calculateur la nuit. La beauté de Task, c'est que Robbie ne braque pas que pour l'argent mais également par vengeance, et on pose le même constat que la plupart des projets qui gravitent autour de cette notion, elle n'apporte rien de bon. La thune sert donc à élever ses gosses et sa nièce Maeve et dans l'espoir de les mettre à l'abri du besoin, oui, mais on sent qu'on est dans une situation kill two birds with one stone, la vengeance d'abord, la survie après. Pelphrey joue ça avec une intensité qui colle aux tripes. On sent la rage sourde, cette certitude qu'il s'enfonce mais qu'il ne peut pas s'arrêter avant d'accomplir sa destinée, celle qu'il s'est tracé.
Jamie McShane en Perry, chef des Dark Hearts dont les planques se font vider une par une, complète ce triangle toxique parfaitement. Perry sent que tout lui échappe - quelqu'un balance les infos, son empire se fissure. McShane joue la paranoïa montante avec une précision chirurgicale, un mec qui teste les loyautés et réagit avec une brutalité croissante et qui semble commettre l'erreur de tout donné à son espèce de second, Jayson. La manière dont ces trois trajectoires - le flic épuisé, le vengeur désespéré et le kingpin qui perd le contrôle de son empire et de son poulain - se percutent et se déforment mutuellement, fait vibrer la série.
La task force elle-même mérite qu'on s'y attarde. Tom se retrouve avec une équipe de jeunes agents inexpérimentés qui n'ont jamais vu ce niveau de violence. Ingelsby prend le temps de montrer leur maladresse face aux scènes de crime et donne l'impression qu'ils sont parfois complètement dépassés et que le leadership de Brandis (Ruffalo) en est peut être la cause dû à cet espèce de côté défait. Certains craquent, d'autres semblent plus habitué au situation borderline. La série laisse planer un doute constant sur qui est clean, qui est pourri. Cette tension interne rajoute une couche de paranoïa qui colle parfaitement à l'ambiance.
Ingelsby filme les banlieues ouvrières de Delaware County, où les Dark Hearts contrôlent tout parce que rien d'autre n'offre de revenus. Pas de misérabilisme voyeur, juste une réalité économique qui devient parfois glaçante. Les back roads défoncées, les Wawa H24, les bars miteux, tout respire la classe ouvrière abandonnée, mais Task parvient à contraster avec la nature de la région, ses rivières, lacs et forêts et donne cette sensation organique, sauvage et naturellement brutale.
Le rythme refuse l'action constante aussi, et c'est exactement ce qui fonctionne. On développe réellement les personnages secondaires, de la famille de Tom à celle de Robbie et son entourage en passant par certains membres des Dark Hearts qui ont leurs propres codes, leurs drames internes. Ingelsby construit un écosystème criminel crédible où chaque action provoque des réactions imprévisibles. Les connexions entre personnages se révèlent progressivement: trahisons, loyautés inattendues, histoires qui se croisent organiquement... Cette lenteur calculée rend les explosions de violence d'autant plus brutales quand elles arrivent.
La fin est, à mon goût, un peu trop propre, même si on assistera à bon nombre de morts assez choquantes. On aurait aimé une ouverture plus sincère vers une deuxième saison plutôt que de moitié fermer la porte au cas ou la série ne rencontrerait pas un vrai succès.
En somme, Task représente surtout ce que HBO fait de mieux quand la boîte se donne les moyens. A des années lumières de ses Last of Us ou HOTD, Ingelsby accouche d'un thriller social qui refuse les facilités, qui filme la pauvreté américaine sans voyeurisme, qui construit des personnages d'une humanité crédible et surtout qui propose une première saison solide de bout en bout au scénario blindé de rebondissements à s'en bouffer les ongles. Ruffalo et Pelphrey livrent des performances qui marquent, pas de course-poursuite spectaculaire, pas de twists tirés par les cheveux - juste une mécanique narrative implacable qui broie ses protagonistes. Du grand drama adulte qui respecte l'intelligence du spectateur et refuse les happy ends en carton.
Fais la deuxième saison maintenant.