The Night Of
8
The Night Of

Série HBO (2016)

Voir la série

Dans l’univers profus de la série, le mini format semble le compromis idéal pour conjuguer ambition et ligne éditoriale : huit épisodes, une dizaine d’heure, la possibilité de prendre son temps tout en ayant la conscience nette du cap à tenir, sans s’égarer dans des dilutions opportunistes de suites à rallonge. C’est précisément ce qui fait la qualité première de The Night of, qui conjugue le talent de plumes de prestige (sur Millénium de Fincher et The Irishman de Scorsese pour Zaillan, The Wire pour Price) sur un canevas volontairement rudimentaire : un meurtre, un accusé, une enquête, une procédure.


Les promesses du premier épisode permettent d’établir avec malice toute la captation nécessaire du spectateur, à travers cette béance d’un blackout au terme duquel le protagoniste se retrouve face à un cadavre. La tension, très bien menée, de sa laborieuse fuite et de la manière dont chaque détail le ramène sur le lieu du crime en compagnie de la police met en place une atmosphère suffocante, à la musique rare, qui met en place avec méthode un piège qu’on sait construit pour durer.


Mais c’est dans toute sa suite que la série prend réellement son envol : la lenteur volontaire de l’enquête laisse le temps aux personnages de prendre chair (les parents, le flic à l’orée de la retraite, les différents avocats), et aux enjeux sociétaux d’émerger avec pertinence. Le monde contemporain apparait ici comme saturé de codes et de règles qui profiteront toujours à ceux qui ont su profiter de leurs privilèges ou basculer de l’autre côté de la loi. Le commerce violent des avocats, la société de surveillance, le racisme endémique, la froideur inhumaine de l’appareil judiciaire constellent ainsi un portrait aussi froid qu’acerbe d’un monde qui, se sachant malade, tourne tout de même à plein régime.


Les qualités de l’écriture se voient honorées par un savant sens de l’équilibre, notamment grâce aux performances des comédiens (Riz Ahmed, dont le regard se durcit progressivement, et surtout John Turturro, absolument magistral dans sa médiocrité et son humanité), à l’incursion de la comédie (tout ce motif de l’eczéma de l’avocat, fil rouge excellemment exploité) et une dimension documentaire assumée sur le labyrinthe de l’instruction.


Point d’orgue de cette réussite, l’exigence visuelle de la série impressionne : Steven Zaillan qui réalise la quasi-totalité des épisodes fait montre d’un réel talent dans son choix des cadres, l’attention qu’il porte aux architectures, qu’elles soient carcérales ou judiciaires, pour découper un univers silencieusement hostile. Les nombreuses balances de point jouent ainsi régulièrement d’une profondeur qui insiste sur les distances infranchissables, alliées à la vision d’un monde décati (la rouille, les flaques, la pierre froide) qu’une superbe photo épaissit dans son opacité.
La somme de ces qualités devrait aboutir au chef-d’œuvre. Malheureusement, certains impératifs de la série refont surface sur son dernier tiers. On se rappelle ainsi qu’il s’agit de mener une enquête et de revenir au motif premier -ce qui, bien entendu, est tout à l’honneur des scénaristes. Mais le trait s’épaissit, de la transformation bien rapide du protagoniste en caïd qui se barde de tatouages à la romance improbable avec l’avocate, en passant une série de suspects mise au jour par une enquête que la police n’a jamais pensé à mener.


La série n’en perd pas pour autant tout son crédit, notamment grâce à une fin de procès où l’écriture au cordeau des interrogatoires ou plaidoiries prouve un véritable talent, tout comme un dénouement en demi-teinte qui refuse de céder aux sirènes du romanesque. L’injonction à la satisfaction supposée du spectateur a certes conduit à des concessions un peu regrettables, mais qui n’occultent pas la somme de talents à l’œuvre dans cette œuvre crépusculaire.

Sergent_Pepper
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Top 10 Séries, Les meilleures séries diffusées sur HBO et Les meilleures séries de 2016

Créée

le 5 févr. 2021

Critique lue 1.7K fois

44 j'aime

2 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 1.7K fois

44
2

D'autres avis sur The Night Of

The Night Of
Vincent-Ruozzi
8

Taxi driver

Fin d’été 2016, buzz sur le planisphère des séries télévisées. HBO lance une mini-série de 8 épisodes, The Night Of. Adaptation d’une série britannique intitulée Criminal Justice, la série relate le...

le 12 sept. 2016

64 j'aime

2

The Night Of
guyness
8

Tenir sur ses Khan

En ces temps troublés par un monde qui ne cesse de se polariser, où avoir un avis et le hurler à la face du monde est bien plus important que de l'avoir étayé, et où rien ne compte plus que...

le 22 avr. 2017

51 j'aime

10

The Night Of
Sergent_Pepper
8

Sight and the city

Dans l’univers profus de la série, le mini format semble le compromis idéal pour conjuguer ambition et ligne éditoriale : huit épisodes, une dizaine d’heure, la possibilité de prendre son temps tout...

le 5 févr. 2021

44 j'aime

2

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

767 j'aime

104

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

703 j'aime

54

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

615 j'aime

53