Le titre annonce la couleur. Toi et Tout le Reste est une expression amère qui dit déjà le déséquilibre : le « toi » occupe toute la place, le « je » disparaît. C’est exactement ce qu’a envie de cracher Eun-jung (Kim Go-eun) en entendant le discours de Sang-yeon (Park Ji-hyun).
Relation dérangeante, car il ne s’agit pas d’une amitié fondée sur le soutien mutuel, où l’on rend ce que l’on donne. C’est un lien bancal où Eun-jung et Sang-yeon incarnent deux forces contraires. Eun-jung est chaleur : une lumière douce, qui éclaire sans aveugler, qui réchauffe sans brûler. Elle tend la main, naïvement parfois, mais toujours sincèrement, et c’est cette ouverture qui attire les autres à elle. Sang-yeon, elle, est froideur : non qu’elle refuse la main d’Eun-jung, mais elle ne sait pas en tendre elle-même. Elle reçoit sans donner, accepte d’être incluse sans jamais inclure. Là où Eun-jung rassemble, Sang-yeon reste centrée sur elle, poing fermé qui cogne plus qu’il ne caresse. Leur opposition traverse la série tout entière, dessinant une amitié faite d’attirance et de rejet, d’envie et de solitude. J’ai bien failli abandonner après le 2ᵉ épisode.
C’est le frère de Sang-yeon, Jeon Sang-hak (Kim Jae-won), ou plutôt son Leica M3, qui m’a retenue. Le télémétrique superpose deux visions pour n’en faire qu’une, comme le fait notre cerveau. Il devient le symbole du décalage et des vies parallèles. Tout est affaire d’image, de regard, d’angle, de profondeur de champ et de hors champ. La photo devient langage.
On le voit dans certaines scènes : la photo du banc pousse à changer de perspective ; la photo de Robert Capa rappelle qu’une image peut contenir plusieurs vérités. La pellicule TRI-X apporte ce grain rugueux, frontal, qui cherche la vérité brute, même douloureuse. Le journal de Jeon Sang-hak, adressé à M, prolonge ce mouvement : deux voix réunies en une seule. Comme une pellicule qu’on développe lentement, ce qui était hors champ finit par apparaître.
Derrière la raideur de Sang-yeon se cache une blessure d’enfance : l’impression que sa mère aimait davantage son frère. Sa dureté est une carapace, pas une absence d’émotion. Mais cette faille nourrit jalousie et besoin de contrôle. Plus elle est blessée, plus elle blesse. Leur relation ressemble à un viseur télémétrique : parfois les images s’ajustent, brièvement, puis tout se décale à nouveau. Avec Eun-jung, la mise au point se fait naturellement ; avec Sang-yeon, elle reste fragile, instable, prête à se brouiller.
Rien à redire côté casting. Kim Go-eun confirme l’étendue de son registre : juste, nuancée, lumineuse. Je ne connaissais pas Park Ji-hyun, que j’ai trouvée impressionnante, ni Kim Gun-woo, discret mais d’un vrai talent qui marque durablement. Enfin, Cha Hak-yeon (N) fait une apparition brève mais marquante.
Mais derrière cette apparence travaillée se cache une relation lourde, toxique, presque parasitaire. Eun-jung se laisse dévorer par son empathie, tandis que Sang-yeon s’en nourrit, incapable de donner autrement que par son besoin de combler sa solitude. Le lien finit par épuiser plus qu’émouvoir. La narration abandonne ses propres pistes, le rythme reste déséquilibré, et la fin, au lieu d’ouvrir, étouffe ses personnages. Kim Sang-hak, en particulier, est sacrifié, alors qu’il n’avait rien d’un simple « secondaire ».
Toi et Tout le Reste se veut un mélodrame rugueux sur la mémoire et le regret. Mais ce qui devait être une fresque sensible se réduit à une histoire étouffante, laissant une impression d’un temps perdu et de personnages sacrifiés. Finalement, je tranche pour un 5, le goût amer reste encore trop présent.