Melt
7
Melt

Album de Young Magic (2012)

Vertiges en suspension : les textures magnétiques de Melt

Il est des albums qui ne se contentent pas d’être écoutés : Melt, premier opus du duo Young Magic, fait partie de ceux qu’on traverse comme un paysage onirique, les sens en alerte, l’esprit un peu brouillé. Un disque-carte postale venu d’ailleurs, qui fascine autant qu’il déroute. S’il ne m’a pas totalement emporté, sa richesse sonore et sa proposition esthétique méritent pleinement un solide 7/10.


L’album est né d’un nomadisme assumé : enregistré entre l’Australie, le Japon, l’Allemagne, l’Indonésie, le Mexique ou encore le Brésil, Melt porte en lui les traces d’un monde en mouvement. Mais loin d’un collage superficiel de sons exotiques, Young Magic parvient à fusionner ces influences disparates dans une matière sonore cohérente, presque liquide. D’où ce titre : Melt, comme une dissolution des frontières, une fusion des identités, un abandon des repères.


Ce qui frappe d’abord, c’est la richesse texturale de la production. Chaque morceau semble construit comme une strate géologique : percussions tribales, field recordings discrets, synthétiseurs brumeux, voix filtrée jusqu’à l’abstraction. Il y a là un soin du détail quasi cinématographique, une manière de produire non pas des "chansons" mais des espaces. L’oreille s’y perd, happée par la densité des arrangements, comme dans un rêve fiévreux où tout flotte, tout tremble, tout s’efface.


On sent que la production cherche moins l’impact frontal que l’immersion sensorielle. Le mixage privilégie les résonances, les échos, les fondus. Les voix, souvent lointaines, deviennent des instruments à part entière, perdant en intelligibilité ce qu’elles gagnent en expressivité. Ce traitement vocal contribue à cette sensation d’irréalité permanente, comme si l’album était le souvenir d’un album, un mirage sonore.


Cette approche immersive, si elle séduit par sa cohérence et son audace, a aussi ses limites. À force de flouter les contours, certains morceaux se fondent trop l’un dans l’autre, au risque d’un certain ennui. On aurait aimé, par moments, des ruptures plus nettes, des contrastes plus affirmés, une lumière plus franche dans cette brume persistante. La beauté de Melt est indéniable, mais elle est parfois trop diffuse pour totalement captiver.


Cependant, des titres comme Night In The Ocean ou Sparkly se détachent clairement par leur équilibre entre structure mélodique et richesse atmosphérique. Ce sont ces moments-là, plus incarnés, qui donnent envie de revenir, de se replonger dans le disque avec une écoute plus attentive.


Melt n’est pas un disque à comprendre, c’est un disque à ressentir. Il s’adresse moins à l’intellect qu’à l’inconscient. C’est sans doute ce qui fait sa force et, paradoxalement, ce qui l’empêche d’atteindre les sommets : en misant tout sur l’ambiance, il prend le risque de laisser certains auditeurs à distance. Mais pour peu qu’on accepte de se laisser porter, sans chercher à tout saisir, il offre un voyage sensoriel intrigant, fragile, magnétique.


En somme, Melt est un rêve éveillé au bord du monde. Un disque qui ne cherche pas à plaire mais à envelopper, à murmurer à l’oreille plutôt qu’à s’imposer. Et s’il ne bouleverse pas, il laisse derrière lui une empreinte singulière, comme le souvenir d’un lieu qu’on ne saurait nommer mais qu’on reconnaîtrait entre mille.

CriticMaster
7
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le 15 avr. 2025

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