Sorti en 2012, All We Love We Leave Behind marque une forme d’apogée dans le parcours déjà chaotique et exigeant de Converge. Avec ce disque, le groupe ne cherche pas à plaire — il cherche à dire. À crier. À exorciser. Et c’est peut-être dans cette honnêteté brute, dans cette violence non feinte, que réside sa force la plus marquante.
Dès les premières secondes, l’album annonce la couleur : nous ne sommes pas là pour écouter une simple collection de morceaux, mais pour plonger tête la première dans un maelström émotionnel. Ce chaos contrôlé, signature du groupe, atteint ici un équilibre rare entre sauvagerie instrumentale et précision chirurgicale. Les guitares tranchent, la batterie martèle, et la voix de Jacob Bannon… eh bien, elle déchire littéralement tout sur son passage, sans jamais sonner gratuite.
Mais ce qui frappe surtout, c’est la maturité de l’écriture. Converge ne mise pas uniquement sur la brutalité : chaque morceau semble avoir été pensé, pesé, ciselé pour faire sens. Des titres comme Aimless Arrow ou Coral Blue témoignent d’une capacité à varier les dynamiques sans jamais trahir l’identité du groupe. L’album ne s’effondre pas sous son propre poids, il respire, il vit — dans la douleur, certes, mais avec une clarté rare.
Le cœur de All We Love We Leave Behind, c’est ce mélange de rage et de vulnérabilité. Jacob Bannon livre ici certains de ses textes les plus personnels, et cela s’entend. Il ne s’agit pas d’une violence tournée vers l’extérieur, mais d’un combat intérieur, d’un deuil, d’une perte, d’une lutte contre soi-même. C’est sans doute ce qui rend l’album aussi puissant émotionnellement : il y a une authenticité palpable dans chaque cri, chaque riff, chaque silence.
Même dans ses moments les plus abrasifs, l’album conserve une lisibilité émotionnelle : on n’est pas simplement submergé, on est touché. C’est rare dans un genre aussi souvent perçu comme hermétique.
Si j’ai choisi de lui attribuer une note de 8.5/10, c’est aussi parce que malgré sa puissance, l’album n’échappe pas à quelques longueurs. Certains titres s’étirent un peu trop ou manquent légèrement de relief au sein de l’ensemble. Mais ces rares moments de flottement n’altèrent pas la cohérence globale de l’œuvre. Ils permettent même, paradoxalement, de mieux savourer les pics d’intensité.
All We Love We Leave Behind n’est pas un album qu’on écoute distraitement. C’est un disque qui s’impose, qui demande une attention totale, qui bouscule. Mais pour peu qu’on accepte de s’y plonger pleinement, il offre une expérience d’une rare intensité. Converge y atteint une forme d’équilibre entre chaos sonore et clarté émotionnelle, entre rage brute et lucidité poétique.
Un album qui laisse des traces. Comme tout ce — ou ceux — que nous aimons… et que nous laissons derrière.