Lee Ranaldo, figure emblématique de Sonic Youth, revient en 2012 avec Between the Times and the Tides, un album solo qui sonne comme une respiration, un pas de côté aussi sincère que surprenant. Loin de l’expérimentation sauvage de son passé, il opte ici pour une forme plus apaisée, plus mélodique, presque contemplative. En lui attribuant un 7,5/10, je salue un disque personnel, riche et honnête, même s’il me laisse parfois sur ma faim. C’est un album qui séduit plus par son humanité que par sa radicalité.
Ce qui frappe dès l’écoute, c’est ce choix assumé : Ranaldo troque le chaos pour la clarté. Between the Times and the Tides n’a pas vocation à faire trembler les murs ; il cherche plutôt à se faire entendre avec douceur, presque avec humilité. On est loin des drones saturés de Sonic Youth : ici, les guitares chantent, les compositions respirent, et la voix de Ranaldo — souvent restée dans l’ombre chez SY — se déploie avec une sincérité désarmante. Le disque trouve ainsi un équilibre entre folk-rock classique et réminiscences électriques, créant un univers à la fois familier et singulier.
S’il fallait choisir un morceau pour cristalliser l’âme de cet album, ce serait sans hésitation Xtina As I Knew Her. À la croisée de l’intime et du rêve éveillé, ce titre se déploie en nappes de guitares hypnotiques, portées par un riff à la fois lancinant et lumineux. Ranaldo y tisse un récit personnel, presque elegiaque, où les souvenirs d’une figure féminine flottent comme des ombres sur la plage.
Il y a dans ce morceau une tension douce, une mélancolie qui ne verse jamais dans la lourdeur. Le jeu de guitare, subtilement entremêlé, évoque par moments les grandes heures du psychédélisme californien, tout en conservant une structure claire, presque pop. C’est une chanson à écouter la nuit, les yeux mi-clos, quand les souvenirs s’invitent sans frapper.
Ce titre résume à lui seul ce que Ranaldo réussit si bien sur cet album : parler de soi sans forcer le trait, installer une atmosphère sans en faire trop, toucher sans chercher à impressionner.
L’un des rares reproches que je ferais à l’album, c’est sa production parfois un peu trop sage. Tout est bien rangé, bien construit — peut-être trop. Ranaldo semble vouloir prouver qu’il sait écrire des "vraies chansons", comme s’il voulait rassurer son auditeur. Et il y parvient. Mais au passage, il perd parfois ce grain de folie, cette imprévisibilité qui faisait la beauté imparfaite de ses œuvres passées. On aurait aimé quelques aspérités, quelques accidents, quelques rugosités.
Between the Times and the Tides est un disque de transition, mais c’est une transition habitée, incarnée. Ce n’est pas un manifeste, ce n’est pas une révolution, et ce n’est pas grave. C’est un disque qui assume d’être ce qu’il est : un moment suspendu, un autoportrait sans fard d’un musicien en pleine mue. Il ne cherche pas à convaincre, il propose. Il n’impose rien, mais laisse une empreinte — discrète, mais persistante.
En somme, c’est un album à réécouter avec le temps, pour y entendre non pas un renoncement, mais une redécouverte. Et rien que pour ça, il mérite qu’on l’écoute encore, entre les temps et les marées.