Going for the One
7.2
Going for the One

Album de Yes (1977)

Finalement, l’audacieuse collaboration avec Patrick Moraz n’aura été qu’une parenthèse le temps d’un album et d’une tournée (Relayer), et tel le naturel chassé retrouvant son espace de prédilection, Rick Wakeman est appelé pour à nouveau assurer les claviers, ce qui sera là son premier retour dans le groupe (sur plusieurs au cours de son histoire).


Le groupe est enthousiaste et inspiré. En fait, on n’en doute pas, sauf qu’il faut malgré tout ajouter un peu de contexte autour de la réalisation de cet album :


Nous sommes en 1977, et avec l’émergence progressive (hum) du punk, les groupes de rock progressif traditionnels commencent à devenir ringards aux yeux d’une partie du public (notamment les classes les plus populaires) considérant ce rock symphonique pompeux affilié aux chimères philosophiques dépassées des années beatnik. Non, le public en partie n’aspire plus à ça, une page est en train de se tourner. Mais Yes eux, probablement sans le percevoir – ou alors simplement se sentant étrangers à ces changements de paradigme sociétaux – continuent de proposer du rock progressif traditionnel, et même dans un sens, ce Going For The One, nous le verrons un peu loin, n’aura jamais autant sonné « rock prog tradi », marquant un peu plus ce contraste.


On démarre l’album avec la chanson-titre, un morceau que Jon Anderson avait composé des années auparavant et qui a finalement été retravaillé pour cette occasion. C’est un morceau inhabituellement court (5 minutes) mais bougrement efficace, qui malgré tout deviendra un classique, où l’on est à la fois sur une vibe « rock’n’roll » un peu naïve, mais agrémenté quasiment tout le long du titre d’interventions de lap steel guitar de Steve Howe, et « habité » par les claviers-signature-sirupeux du sorcier Wakeman en arrière-plan donnant une coloration globale à ce morceau particulièrement étonnante. Personnellement, j’adore, y’en a partout mais on comprend tout, et les harmonies vocales sont au rendez-vous, toujours bien amenées.


Turn Of The Century qui suit, est sur quelque chose de complètement différent : guitares acoustiques et chant, réverbération type église, on est sur quelque chose de particulièrement « céleste », voire « angélique », et pourtant ça reste paradoxalement assez chargé : Steve Howe en fout partout, Wakeman tartine à tout-va les murs et les voûtes de ses sonorités généreuses, je pense qu’il y a même de la harpe dans tout ce fatras de bienveillance surnaturelle ; sensation accentuée par l’absence de batterie sur les 7 minutes de ce titre (Alan White y est pourtant crédité parmi les compositeurs. Pianiste à ses heures, il est possible qu’il ait amené des éléments de la partie centrale ? À creuser)


Bref, c’est un morceau à la fois envoûtant et aventureux, un très grand moment, on pourrait même dire un avant-goût de « Awaken ».


Sur Parallels, on reste dans le même genre « d’environnement » avec une introduction à l’orgue de Wakeman (jouée sur un véritable orgue, celui de l’église de Vevey, en Suisse), mais beaucoup plus dynamique : Alan White retourne derrière ses fûts, Chris Squire fait vrombir sa Rickenbaker, et on retrouve sur quasiment tout le titre les harmonies à 3 voix signature du groupe.


C’est un très bon morceau, très catchy. L’orgue est présent tout le long du titre et on a même droit à un solo. Ça s’excite complètement à la fin où tout le monde semble chanter dans des directions différentes. Et comme d’habitude avec Yes, ça semble être bordélique, mais pourtant ça sonne toujours cohérent.


Wonderous Stories est une ballade signée Anderson. C’est un bon morceau, toujours dans un registre, dans un environnement éthérée et naïf … En fait, ça pourrait presque être une chanson de Noël, ça en a tous les attributs : la coloration, les voix, les harmonies (en canon) pour certaines. Y’a un côté « messe de minuit » où l’on s’imagine attendre la venue du « divin enfant » et de ces ambiances si caractéristiques de ces fêtes de fin d’années, il y a presque un côté touchant.


Et là, on y vient, on attaque le gros bonnet : Awaken.


Alors, Awaken, comment dire … C’est à la fois une synthèse et une apothéose : on retrouve tous les ingrédients que l’on a vu dans les morceaux précédents, mais sublimés de toute part.


Le morceau démarre sur une série d’occurrences assez brèves et nerveuses au piano. C’est mélodique, mais également un peu schizophrénique. Bien que « iconique », cette introduction me laisse toujours interrogatif. S’ensuit l’arrivée de Jon Anderson et de sa voix cristalline caractéristique entamer sa déclamation, soutenue par un ensemble de sons et de nappes de claviers formant un maelstrom indéfinissable « hors-espace, hors-temps », où l’on comprend assez facilement qu’il doit vite être question de quitter le plancher des vaches pour orienter son esprit, se « brancher » sur quelque chose de manifestement beaucoup plus puissant.


L’effet est incroyable.


Alors que l’impression initiale suggérerait d’avoir ce genre de dynamique tout le long de ces 15 minutes, il n’en est rien. Le morceau s’emballe et s’ouvre à de nouvelles orientations : le duo Squire/White nous sort des patterns complexes mais assez ouverts, où il y a largement la place à Steve Howe pour développer le thème et à Jon Anderson et ses vocalistes secondaires d’entonner ces étranges mélodies en escalier. En fait c’est ça, ça tourbillonne, sereinement, comme un genre de danse céleste, laiteuse presque, dans laquelle on est pris et qui se traduit par un sentiment de plénitude, d’aventure et de transcendance.


Sur la partie centrale, on a un changement de dynamique, Wakeman se remet derrière l’orgue (celui de Parallels), et se met, de façon un peu haché comme sur l’intro, à faire de brèves interventions. Derrière lui, diverses percussions, triangles, glockenspiels, lui conférant toujours cette aura surnaturelle si particulière.


… Pour progressivement se repositionner sur une partie plus animée (dominée par des gros accords d’orgue et de chœurs) où Jon Anderson semble dévoiler l’épilogue tel un prophète en état de grâce.


Après quelques nouvelles envolées de claviers, l’atmosphère se pose, comme sur l’intro, où Anderson conclue un autre ensemble de déclamations venant mourir, se « fondre » au sens littéral dans cet amas mousseux et éthéré de sons et d’ambiances semblant réellement venir de l’au-delà.


Awaken est une expérience unique et singulière. Je n’ai personnellement jamais expérimenté de voyage astral, mais quand j’écoute ce morceau, je ne peux pas m’empêcher d’y trouver une sorte de « parallèle » tant ce qui se dégage évoque une sensation d’abandon de son corps, d'abandon de sa matérialité tangible.


Pour conclure, (et pour revenir un peu sur terre) Going For The One est probablement le dernier grand album de Yes, où tous les ingrédients qui ont fait sa force, sa créativité sont présents. Tout n’est pas parfait (choix de sons de claviers notamment, et le côté « naïf » de certains passages) mais le groupe conclue ici de façon admirable d’une certaine manière la décennie dorée qu’a connue le rock progressif et le rock symphonique qui malheureusement, progressivement, se trouvera victime de conjonctures qui lui seront défavorables.


lépagneul
8
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Créée

le 27 mars 2025

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