Jiaolong, premier projet de Dan Snaith sous le pseudonyme Daphni, est une œuvre brute, à la croisée de l’expérimentation et du dancefloor. Derrière ses apparences désordonnées, l’album révèle un travail de production d’une précision chirurgicale, où l’instinct et le savoir-faire s’entrelacent constamment.
Ce qui frappe d’emblée, c’est la texture du son : granuleuse, instable, volontairement imparfaite. Chaque morceau semble construit sur un fil tendu entre la spontanéité du live et la minutie du studio. Snaith déconstruit la house, en extrait la moelle rythmique, puis la recoud avec des bouts de samples malmenés, des motifs en boucle et des pulsations qui semblent vouloir s’échapper de la grille rythmique.
La production n’a rien de lisse ou de clinquant. Elle est sale dans le bon sens du terme : elle respire, grince, parfois même dérange. Mais derrière ce chaos apparent se cache une main de maître. Les samples sont découpés avec une précision presque maniaque, et leur placement, souvent minimaliste, révèle une vraie science du groove. Les morceaux comme "Ye Ye" ou "Jiao" montrent comment une simple boucle, si elle est bien traitée, peut devenir obsessionnelle.
Snaith joue avec les fréquences comme un peintre avec ses couleurs. Il ne cherche pas à "produire propre", mais à capturer un mouvement brut, un élan primaire. Cela donne parfois un sentiment de spontanéité extrême, comme si certaines idées surgissaient sans filtre. Cette approche instinctive est à la fois la grande force de l’album… et sa limite.
On sent que Daphni ne cherche pas à séduire, mais à expérimenter. Les structures sont souvent imprévisibles, parfois même déroutantes. Cela peut fatiguer à la longue, notamment si l’on attend des morceaux plus construits ou des climax plus nets. Mais dans sa logique propre, l’album est cohérent : c’est un disque de DJ-producteur pour oreilles curieuses, fait pour être ressenti autant que compris.
En ce sens, Jiaolong s’adresse autant aux corps qu’aux cerveaux : il fait bouger, mais il interroge aussi notre manière d’écouter l’électro. Il propose un son hybride, mouvant, difficile à ranger mais résolument personnel.
Avec un 7.5/10, Jiaolong se présente comme une œuvre captivante, un peu rugueuse, qui assume sa démarche jusqu’au bout. Ce n’est pas un album facile, ni un manifeste, mais plutôt une zone d’exploration, où la production devient langage à part entière. On y entre avec curiosité, on y reste pour l’énergie brute, et on en sort un peu secoué – mais satisfait.