Sorti en 2012, Putrifiers II des Oh Sees (encore sous le nom Thee Oh Sees à l’époque) s’inscrit dans la riche discographie d’un groupe connu pour son insatiable productivité et son goût du chaos organisé. À mi-chemin entre rock garage, psychédélisme lo-fi et expérimentations sonores bancales, cet album court (moins de 40 minutes) agit comme une étrange potion : intrigante, parfois amère, mais souvent captivante.
Ce qui frappe dès les premières écoutes, c’est la capacité du groupe à réinventer ses textures tout en conservant une identité brute et immédiate. Wax Face, en ouverture, pose d’emblée une ambiance à la fois abrasive et hypnotique. La production volontairement lo-fi ajoute un grain rêche qui colle à l’esthétique garage, mais s’éloigne parfois d’une clarté qui aurait pu mieux servir certaines compositions. Ce n’est pas un défaut majeur, mais un choix artistique qui, s’il participe au charme de l’album, peut aussi nuire à sa lisibilité globale.
L’un des points les plus fascinants de Putrifiers II réside dans son approche instrumentale : le groupe multiplie les combinaisons étranges, flirtant avec le psychédélisme façon années 60 tout en injectant des touches noise, des élans pop bancals, et des moments presque baroques. Les guitares, bien que parfois étouffées dans le mix, tracent des lignes tantôt acérées, tantôt cotonneuses, et créent une tension constante entre dissonance et mélodie. On pense par moments à un Velvet Underground sous acide ou à des expérimentations de Syd Barrett revisitées par un groupe de garage californien.
Les arrangements se montrent souvent surprenants : les claviers psyché-sci-fi de morceaux comme Putrifiers II ou les nappes lancinantes de cordes sur Wicked Park injectent une dose de surréalisme planant qui contraste avec la sécheresse percussive de morceaux plus directs. La basse, quant à elle, agit souvent comme un fil rouge discret mais essentiel, guidant l’auditeur à travers ce labyrinthe sonore avec une régularité presque hypnotique.
La batterie – nerveuse, volontairement sale, parfois martiale – joue un rôle central dans la dynamique de l’album. Elle impose un rythme tantôt pressant, tantôt relâché, qui épouse parfaitement les contours d’un disque en constante mutation. À noter aussi l’utilisation de petites touches percussives ou bruitistes (clochettes, frottements, effets inversés) qui ajoutent une texture presque artisanale à l’ensemble.
Toute cette richesse instrumentale, si elle participe au charme de l’album, peut aussi rendre l’expérience un peu chaotique. On passe d’un univers sonore à un autre sans toujours sentir une progression ou une logique interne. Certains morceaux semblent plus tenir de la jam que de la composition structurée, ce qui laisse parfois une impression d’inachevé.
L’un des charmes de Putrifiers II réside dans sa capacité à créer des atmosphères envoûtantes avec peu. So Nice et Goodbye Baby s’illustrent par une mélancolie douce-amère, presque fragile, qui contraste avec l’énergie frénétique d’autres morceaux plus rentre-dedans comme Flood’s New Light. On sent que Dwyer et sa bande explorent des terrains plus introspectifs, mais n’hésitent pas à casser leurs propres codes. Cela peut parfois perturber, mais c’est aussi ce qui fait de ce disque une œuvre sincère, instinctive, presque viscérale.
En donnant à Putrifiers II la note de 7.5/10, je reconnais avant tout sa singularité et sa capacité à surprendre. C’est un disque qui ne cherche pas à plaire à tout prix, et c’est précisément ce qui le rend intéressant. Pourtant, cette volonté de brouiller les pistes se retourne parfois contre lui : il manque d’un fil conducteur plus solide, d’un souffle narratif qui l’élèverait au-delà de la somme de ses bonnes idées.
Cela dit, dans un monde musical souvent trop lisse, cet album fait figure de caillou vibrant dans la chaussure : imparfait, oui, mais vivant. Et c’est cette vie un peu tordue, cette étrangeté non filtrée, qui lui donne sa valeur.