Sorti en 2012, R.A.P. Music n’est pas seulement un album de rap : c’est un manifeste. Un cri politique, social, intime — mené par un Killer Mike en pleine possession de ses moyens, accompagné d’un El-P au sommet de sa science de la production. Si je lui attribue une note de 8.5/10, c’est parce que cet album, sans être parfait, marque un tournant aussi bien dans la carrière de Mike que dans le paysage du hip-hop engagé des années 2010.
Dès l’ouverture avec "Big Beast", le ton est donné : Killer Mike ne vient pas pour distraire, il vient pour secouer. Il y a dans son flow une urgence presque viscérale, une force qui se ressent autant dans l’intention que dans l’exécution. Ce qui frappe ici, c’est la cohérence entre le fond et la forme : des textes politiquement acérés servis sur des prods industrielles, métalliques, presque dystopiques — signature d’un El-P qui donne à l’album une véritable identité sonore.
L’alliance des deux artistes, a priori improbable, fonctionne avec une fluidité étonnante. Mike trouve dans les beats d’El-P un terrain de jeu qui le pousse à se dépasser, à sortir de sa zone de confort sudiste sans perdre son identité. Le résultat ? Une fusion qui préfigure déjà ce que sera Run The Jewels.
Là où R.A.P. Music marque des points majeurs, c’est dans sa portée politique. Des morceaux comme "Reagan" ou "Don't Die" ne se contentent pas de slogans creux : ils proposent une lecture critique, personnelle, engagée, mais jamais simpliste, de l’histoire américaine contemporaine. Mike ne joue pas le professeur moralisateur : il incarne le citoyen lucide, blessé, mais debout.
Ce qui m’a particulièrement touché, c’est cette émotion sourde qui traverse l’album, comme un fil rouge. Derrière la rage, il y a de la douleur, de la mémoire, et une foi persistante dans la force du peuple. L’album réussit à être autant un pamphlet qu’un hommage : à la culture noire, au hip-hop comme outil d’émancipation, à l’héritage de figures comme Public Enemy ou Ice Cube.
Si je ne vais pas jusqu’à 10/10, c’est parce que certains morceaux, bien que solides, peuvent paraître un peu trop homogènes sur le plan rythmique, et que la densité du propos nécessite parfois plusieurs écoutes attentives pour tout saisir. Mais est-ce vraiment un défaut ? R.A.P. Music est un album exigeant, qui demande — et mérite — qu’on s’y plonge en profondeur.
En résumé, c’est une œuvre qui résonne. Par sa sincérité, son audace, et cette volonté d’élever le discours sans jamais sacrifier l’impact. C’est un disque qui a des choses à dire, et qui les dit avec brio.
R.A.P. Music, c’est le rap dans ce qu’il a de plus noble : un outil d’expression, de combat, de transmission. Un album qui m’a bousculé, m’a fait réfléchir, et surtout m’a rappelé à quel point la musique peut être politique sans perdre en puissance artistique. Pour toutes ces raisons, et malgré quelques limites mineures, cette note de 8.5/10 me semble plus que méritée.