Un récit policier de Marc-Antoine Mathieu : on se doute qu’il ne proposera ni enquêteur fumeur de pipe, ni policiers scientifiques en combinaison blanche, ni traque. Presque fatalement plutôt, on se retrouve avec des planches carrées de 3² cases carrées. Le lecteur ne suit donc pas d’enquête, mais le trajet de la lumière pendant les trois secondes qui donnent à l’album son titre et au récit sa durée (À raison de soixante-sept planches, on aura remarqué que près de cinq centièmes de seconde séparent chaque case de la suivante, en moyenne. C’est très perspicace. Mais ça n’a pas la moindre importance dans la résolution de l’enquête).
Pour faire voyager le lecteur, cette lumière se reflète sur toutes sortes d’objets – vitre, montre, métaux divers, ampoule électrique, objectif d’appareil photo, miroir, etc. Le lecteur de Mathieu doté de quelque mémoire – y en a-t-il d’autres ? – se sera souvenu qu’un procédé similaire était utilisé par le personnage principal du Dessin, là encore pour résoudre une quête.
Le hic, c’est que si j’ai découvert « plusieurs manières d’explorer l’espace-temps à travers un vertigineux zoom graphique », je n’ai pas réussi à « reconstituer le puzzle ». (Les passages entre guillemets viennent de la quatrième de couverture, manifestement rédigée par un lecteur assidu de critiques d’art contemporain.) Ça, c’est très vexant, et quand je suis vexé je suis de mauvaise foi.
J’y ai pourtant passé du temps. J’ai même dû m’aider d’un miroir et ressortir ma vieille loupe. Rien à faire. Au point que je me demande si on ne résout pas l’enquête en disant sans plus de précisions que l’album met en scène une fusillade liée à un scandale dans le monde du football. Ce serait décevant, et ferait ressembler 3” à un exercice de style virtuose mais finalement assez gratuit.
Quant à jeter un œil au site internet de « cette œuvre hybride pensée à la fois en version papier et en numérique », afin de « découvrir et explorer le zoom de l’album d’une façon différente » (ça, c’est tiré de la page de faux-titre), en admettant que le site internet en question existe encore depuis la parution de l’album en 2011, je m’y refuse : j’aurais l’impression de tricher.
Dans 3”, il y a aussi du noir et blanc sans nuances de gris, des anagrammes comme dans les Sous-sols du Révolu, un vernissage comme dans le Dessin, beaucoup de symétrie comme dans l’Épaisseur du miroir, un personnage qu’on retrouvera probablement dans l’Homme réécrit, et des femmes et un animal, histoire de changer.
Bon, il y avait déjà des femmes dans Dieu en personne. Mais à ma connaissance, la mouche qui se fait couper une aile dans 3” est le premier animal mis en scène par Marc-Antoine Mathieu. C’est aussi à elle qu’est rattaché le seul phylactère de 3” : « ! »