Bastard !!
6.3
Bastard !!

Manga de Kazushi Hagiwara (1988)

Héros musclé et impérieux, monstres sanguinaires et petite culotte. C’est à l’aune de ces promesses d’une qualité que d’aucuns auraient pu qualifier de « douteuses » que s’annonce Bastard!! à compter de sa toute première couverture en couleur. Oui, cette œuvre là, je l’avais condamnée avant de la juger et l’avais même jugée avant de la connaître.


Mais ce serait mentir que d’aller jusqu’à prétendre que je ne la connaissais pas. Car avant elle, n’avais-je donc pas déjà lu Übel Blatt ? La Dark Fantasy en peau de lapin dans toute sa splendeur ; je renoue avec. Je dirai cependant, pour préserver l’honneur de Kazushi Hagiwara, que la peau de lapin est mieux brossée avec Bastard!! qu’elle ne l’était avec l’infâme Übel Blatt.

Kazushi Hagiwara est un auteur qu’on devine exquis. L’homme, que dis-je, l’artiste, a commencé sa carrière en dessinant des hentais. Je ne lui fais pas grief de cela ; la vie d’un auteur le contraint parfois à compromettre son art pour manger entre deux œuvres mésestimées de tous. Toutefois, le fait qu’il ait signé de son nom ses créations libidinales tend à démontrer qu’il semble avoir retiré une certaine fierté à s’être accompli dans quelques basses œuvres. Voilà qui brosse un portrait parcellaire et pourtant éclairant sur le personnage. Certains, quand ils effleurent la Fantasy, pensent à Tolkien, au travail monstrueux de linguiste fourni par ce dernier pour aller jusqu’à inventer des langages ; d’autres en revanche retiennent l’idée d’elfes en petite tenue. Chacun accède à la transcendance artistique par le biais qui lui sied le mieux.


Les personnages sont insupportables, déjà graphiquement à s’exciter et se perdre dans des agitations supposées drolatiques qui ne pourront jamais que vous faire rire d’exaspération si cela est possible. Qu’on se le dise, Bastard!! - avec deux points d’exclamation comme Sakigake!! Otokojuku - et non pas un seul comme pour BLAME! - de par ses dessins, tente d’accomplir la pénible harmonie entre les styles graphiques de Rumiko Takahashi et Tetsuo Hara. C’est une idée. Pas une à laquelle je puisse être susceptible de souscrire sans réserve ; une idée néanmoins.


Le mélange des genre sur le plan artistique dégouline alors sur le scriptural. Deux registres s’affrontent ici à défaut de se compléter dans une symbiose de bon aloi. Les transformations à l’eau froide de Ranma 1/2 sont ici troquées contre un baiser de vierge au milieu d’un monde de fantaisie mal défini où l’on s’imagine qu’y déverser quelques orcs, princesses et autres dragons suffit à construire un univers original. Un papier peint sans mur, voilà pour Bastard!!.


Énoncer et ânonner le mot « Magie » pour l’accorder à toutes les sauces ne suffit assurément pas à combler les trous. Chaque élément perturbateur n’est finalement dû qu’à la « Magie »™ sans que jamais celle-ci n’ait pris la peine d’avoir été développée ou même vaguement explicitée. L’aphorisme « Ta gueule, c’est magique » n’a jamais été aussi bien attribué que pour Bastard!!. On jurerait même qu’il a été inventé pour lui ou plutôt, à cause de lui.


Schneider est un anti-héros puéril dans sa conception. Figurez-vous que ce gredin – oui, parfaitement – ce filou, même, fait des doigts d’honneur. Et puis… il a un visage un peu maléfique, donc… ça suffit à en faire un anti-héros, non ? Eh bien non monsieur Hagiwara, ça ne suffit pas. C’est une posture que la sienne, mais pas une expression de son être. Car Schneider, comme chaque personne qui sera à même de défiler sous nos yeux, n’aura pas l’ombre d’une personnalité à mettre en avant. La papier peint n’en finit alors pas de s’étendre.


Je le sais, il s’en trouvera pour tenter de me modérer dans ma sanction. « C’est un conte de Heroic Fantasy qui s’inscrit dans les canons du genre ; c’est un classique », le tout, avant de m’agonir de quelques injures masquées (comme « Gredin » par exemple). Bastard!! ne serait donc pas simpliste et mal façonné, mais « classique ». L’argument peut se tenir aussi longtemps qu’on n’approfondit pas le sens du classique. Est classique, sur le plan artistique, ce qui se réfère au classicisme littéraire. Est classique ce qui est une référence indépassable. S’inspirer de classiques – à savoir Tokien parmi tant d’autres – par loi de transitivité, ne donne pas miraculeusement lieu à un classique par copié-collé. Le classique instaure, il impose ; il invente. Berserk est un classique de la Dark Fantasy et ce, du fait de la richesse de son œuvre qui, sans l’ombre d’un doute, constitue une référence sur le plan de la création artistique. Bastard!! est un poisson pilote sous le classique ; il existe sous l’ombre de ce qu’il y a de classique, sinue sous lui sans le quitter… mais n’est qu’une misérable chiure anodine ne bénéficiant d’aucune existence propre car n’ayant rien à mettre en avant.


Un classique ? Bastard!! ? Qu’on ouvre les yeux plus de deux minutes et qu’on lise ce qu’il y a à lire : il n’est que l’équivalent d’une Quête de Dai en plus musculeuse et sanglante. J’admets qu’il n’est pas déplaisant de voir quelques tripes jaillir à l’envolée par instants, mais cela ne suffira jamais à donner de l’épaisseur à une œuvre. Bastard!! est certes bien plus mature graphiquement que ne pourrait l’être un Shônen sans envergure, mais graphiquement seulement. Et puis, tout sanglant puisse être ce titre, il ne fait que répliquer au trait près le style de Tetsuo Hara pour, là encore, ne jamais rien nous apporter d’innovant.


L’humour présomptif de l'œuvre – car incapable de faire rire – ainsi que la légèreté inopinée de quelques instants fugaces, contribuent en plus à rompre tout potentiel élan de gravité dont pourrait être capable l’œuvre. Cela pourrait être anecdotique, mais ce seul constat s’accepte comme un symptôme peu reluisant d’un mal plus profond qui touche l’œuvre. Bastard!! ne s’est jamais trouvé sur le plan du style scriptural. C’est un manga Frankenstein fait d’autres œuvres et qui n’a jamais su y joindre la moindre valeur ajoutée pour avoir son identité propre. Alors, précisément parce qu’il est fait de tout, il n’est finalement rien. On ne sait trop quel genre lui donner à ce manga-ci. Non pas parce qu’il serait indéfinissable du fait qu’il se trouverait à part ; simplement parce parce qu’il n’a aucune existence propre.


Tout le manga, sur vingt-cinq volumes de temps, ne trouve jamais l’occasion d’être original ou de se démarquer. Ne serait-ce que pour qu’un lecteur, alors qu’il subit un chapitre, puisse enfin dire « Ah, ça par exemple, je ne l’ai pas déjà lu ailleurs ». Bastard!! ne porte bien son nom que du fait qu’elle soit une œuvre bâtarde faite de tant d’autres, mais sans jamais s’inspirer de leur substance ou parvenir à lui insuffler un souffle de vie qui lui soit propre.


On appréciera néanmoins la certaine brutalité du trait de certaines planches, notamment pour ce qui est du dessin nous rapportant les monstres. Il y a en effet un soin apporté à certains détails pour mieux accentuer le côté « Dark » de la Fantasy qu’on prétend nous délivrer ici. Quitte à ne lire qu’un manga qui n’existe que pour ses apparences, autant que celles-ci trouvent le moyen d’être plaisantes. Le dessin de l’auteur, alors qu’il s’affine, devient plus détaillé mais aussi plus aseptisé. Il se démarque de ses premières inspirations, mais là encore, sans jamais vraiment trouver le moyen d’être unique et de se distinguer.


L’alliance de la science et de la magie, notamment pour la création d’Anthrax, avec en plus des dessins qu’on tiendrait pour inspirés de Akira et Ghost in the Shell, fut une bonne surprise dans le scénario. On eut apprécié que celui-ci ne soit justement fait que de cela, nous permettant d’accéder à un univers qui, pour le coup, aurait trouvé l’opportunité d’être original. Mais l’auteur, bien vite, retombera dans ses travers par paresse alors qu’il avait effleuré du doigt la qualité.


Je peux comprendre ce qui séduit, car, à la manière d’une pute bien maquillée, les parures de Bastard!! trouvent le moyen d’être souvent affriolantes. Mais aussi longtemps qu’il n’y aura rien derrière pour justifier qu’elles se mettent en branle, je resterai de marbre alors que je les contemple. Car cette pute que je vois, toute mignonne puisse-t-elle être, est vérolée jusqu’à la trogne. Le scénario de Bastard!!, en effet, est trop finement brodé pour soutenir la trame. L’épique, dans ces conditions, ne peut être que mimé à défaut de jamais pouvoir s’incarner.


Cette intrigue, comme du temps de la Quête de Dai, s’active par ailleurs comme un poulet sans tête hyperactif. La narration ne trouve jamais le temps pour la réflexion ou le recueillement, Schneider et Yoko sautent d’un remous à un autre pour perpétuer un éternel combat de tous les instants dont on se lasse très vite. Quant aux derniers chapitres en date, ils sont clownesques, notamment pour ce qu’ils comportent de facéties licencieuses pour adolescents stupides.


Pourquoi l’auteur ne termine pas son œuvre ? Car il n’a plus d’idée ? Mais de ce que j’ai lu, je puis attester sans trembler des lèvres que, d’idées, il n’en a de toute manière jamais eu aucune. Cette fin, si on ne l’attend plus, c’est finalement parce qu’on ne l’attend pas ; qu’on ne l’espère pas. Qu’apporterait-elle au juste ? Quelques lecteurs assidus seraient-ils donc assez sots pour espérer qu’un joyau scintillant vienne ponctuer ce qui n’a été jusque là qu’un tas d’immondices ? À quoi bon conclure quelque chose qui, de toute manière, n’a jamais vraiment pris la peine de commencer ? Car la fin, en définitive, suppose au moins une finalité. Bastard !! s’est accompli par défaut. Son style graphique n’a jamais été le sien et ce qu’il recouvrait ne s’illustrait en aucune façon comme un contenu ne serait-ce que vaguement inspiré. Réclamer une fin à Bastard !!, c’est demander à ce qu’on achève un homme mort ; soit un acte aussi dispensable que le fut la création de cette œuvre mort-née.

Josselin-B
3
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le 12 janv. 2024

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Josselin Bigaut

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