Frustrant. C’est le mot juste, peut-être même le seul qui vaille me concernant. En tout cas, celui de mieux à même de décrire mon expérience de lecture dans le sillon des écrits d’Hiroaki Samura. Frustrant de ce que cet homme a de talent et de choses à nous raconter sans jamais trop m’atteindre. Pour m’avoir fait atteindre des sommet autant que de mornes et profondes bassesses ; parfois dans un même élan, je n’ose plus trop lui faire confiance. Et pourtant, que j’ai adoré le lire le temps d’une première partie de L’Habitant de l’Infini. Mais d’un périple, on n’en retient pas les épisodes ; rien que l’entièreté. Ce qui aurait pu valoir un neuf sur dix pesa presque moitié moins une fois arrivé à terme.


Hiroaki Samura a un sens créatif indéniable, de la méthode pour cadrer son récit, une vision pour l’orchestrer et même des idées neuves pour lui donner contenance. Et malgré ça, malgré tout ça, je j’arrive pas à me contenter pleinement de ce qu’il nous sert. Je pourrais soutenir qu’il lui manque un rien pour me saisir, mais je ne saurais pas dire de quoi cet auteur là peut bien être carencé puisqu’il a tout pour lui sur le plan strictement créatif.


Il a le dessin déjà ; rien que ses esquisses justifient qu’on cède allègrement à la curiosité de le découvrir. Je l’avais écrit le temps d’un passage sur Snegurochka, l’auteur compte aisément comme l’un de mes dessinateurs favoris tous supports confondus. Car il n’y a pas que ses traits, il y a tout leur agencement en renfort pour les doter d’une pertinence venue supplanter leurs strictes vertus esthétiques. Jamais rien de criard ou de mièvre, toujours dans les tons justes sans jamais virer monotone ; le moindre de ses coups de crayon témoigne d’une absolue maîtrise de ce qu’il a à nous faire parvenir graphiquement. Se vautrerait-il sur une œuvre lamentable que je ne pourrais pas même lui adresser la note minimale tant le crayon rattrape les impérities du stylo.


Nulle matière à s’offusquer de la présente écriture cela dit, elle est soigneusement brodée et ce, par où que parte la trame. Tout est rédigé finement, des protagonistes aux pistes scénaristiques plurielles qui, par la diversité de leurs approches, nous gardent de l’ennui en pérennisant la cohérence d’un récit global qui sait faire pour se trouver plaisant à lire.


Tout n’est évidemment pas parfait, la note qui vient n’incombe pas qu’à mon seul ressenti. Je retrouve ici les mêmes travers grossiers qui avaient parsemé le très loupé Halcyon Lunch, à commencer par une salve de références culturelles, fusant de partout en pagaille, pour la seule finalité d’être placées là. Vous connaissez l’adage : la culture est pareille à la confiture, moins en a, et plus on l’étale. C’est ce sentiment qui vous jaillit à la gorge chaque fois que le name dropping pleut ici à verse, à savoir trop souvent.

Et puis il y a l’humour. Il est assez spécifique à son auteur, souvent pince-sans-rire, mais plus sans-rire qu’il n’est pinçant. Au bas mot, les neuf dixième des tentatives humoristiques vous échoueront sur une mine terne.


Born to be on Air, ça vous part d’une protagoniste si criante de vérité que je me sentirais bien de me faire esquisse pour le seul plaisir de lui tarter les bajoues sur pages imprimées. Elle est l’incarnation paroxystique d’un de ces prototypes de pouffiasse urbanisée que je ne goûte que trop peu. Vulgaire, grande gueule, émotionnelle, brouillonne, caractérielle, inconséquente et frivole ; une femme comme je les hais. Pas d’une haine passive et blasée, je vous parle d’une aversion sincère pour sa personne, un ressentiment dédaigneux et intense venu répondre en un écho rageur à toute l’antipathie qui en émane. Et pour créer ce sentiment chez moi, il faut avoir de l’acuité dans la plume. Car si je l’abhorre, Koda, c’est avant tout parce qu’elle me paraît plus vraie que nature. La répulsion qu’elle me suggère tient à sa seule personnalité, preuve d’un remarquable travail d’écriture s’il en est. D’autant que l’auteur aura l’intelligence de la dépeindre jusqu’à la dernière fibre de ce qui la constitue foncièrement, offrant ce qu’il faut de vulnérabilité chez elle, notamment par rapport à sa relation avec Mitsuo. Sa défiance sentimentale par rapport aux hommes débrouillards, parce qu’elle craint que leur autonomie fasse qu’ils n’aient plus besoin d’elle, en fait vraiment un personnage complet.

Sans être aussi développé que la protagoniste principale, le restant du cheptel, venu remuer la trame de ses actes éparse est agréable à fréquenter, ne se bornant pas à une variable de « personnage fonction », ayant chacun une réelle impulsion derrière ce qui les fait se mouvoir sur le papier.


Dans ce qui nous vient, nous lirons une histoire qui prend son temps sans s’attarder. Born to be on Air s’emploie à s’installer posément, établissant un premier chapitre sans crier à l’effet d’annonce, nous enjoignant simplement à poursuivre la lecture sans qu’aucune promesse ne nous soit faite quant à ce qui suivre. L’entame n’engage à rien car elle ne cherche pas à nous flécher le récit ; nous ne savons pas où nous irons, et c’est aussi à cette expectative qu’on doit le fait d’être intrigué par ce qu’on lit ici ; à vouloir poursuivre la lecture pour le plaisir de découvrir ce à quoi peut aboutir cette trame nouvelle que vous serez assuré de ne trouver nulle part ailleurs.

Il faut avoir sacrément confiance en soi pour être aussi posé dans ses œuvres, à ne pas multiplier les effets de manche pour capter le lecteur. J’ai le sentiment que Hiroaki Samura écrit ici sans se soucier de ce que pourraient penser ses lecteurs. Une ambition osée mais nécessaire pour qu’une création unique advienne.


Avec ça, avec tout ça, à savoir un script dont on se plaît à lire la moindre strophe, des personnage sympathiquement dépeints, un dessin… Hiroaki Samura, quoi : on lit sans forcer. Sans forcer, mais se ruer non plus. Embarqué que j’étais par le fil de l’intrigue, je prenais le pli de ce que je lisais plus que je ne m’investissais dans ma lecture. Born to be on Air, ça vogue plus que ça ne va.


Les coulisses sont brossés sans virer à la documentation lourde et académique, le métier de la radio se révélant une onde à la fois, articulant la trame dans un contexte historique, eu égard aux modifications légales quant à ce qui se rapporte à la diffusion radiophonique ; au crépuscule des radios classiques effacées derrière l’ascension irrésistible d’Internet.

Ce qu’on lit ici, c’est d’abord un manga sur le restaurant avant de se tourner vers la radio. Quoi qu’à bien y réfléchir, c’est une histoire tout court, pas l’exploitation d’une thématique ; un sujet qui s’accepte pour ce qu’il est en un récit complet. La radio n’est ici qu’un référent récurrent, le point de départ des intrigues qui viennent sans que celles-ci n’aient nécessairement de rapport avec une émission.


Fidèle à ses mérites, récidivant dans leur exhibition, Hiroaki Samura s’illustre de nouveau par une scénographie dynamique, pêchue, qui s’accorde avec un dessin d’où jaillit un sens du vivant presque invasif tant il insuffle une énergie allant au-delà des pages. Il a ce talent-là, Samura, même quand il se plante sur l’écriture. La scène des bruitages sous la pluie était à ce titre un petit bijou d’imagination pictural comme on n’en découvre que rarement.


La narration, par occurrences, est trop bienveillante. L’émission de radio de Koda, le plébiscite rencontré à ses origines, l’attachement populaire, tout va trop aisément de soi pour être crédible quand on tient compte de l’heure à laquelle est diffusée l’émission. Même si, dans l’ensemble, l’humanité est à chier – foncièrement – et peut, le plus bêtement du monde se faire ravir le cœur par une série d’artifices spécieux et affectés, les prestations radio dont nous sommes les témoins sourds ne nous suggèrent en réalité par grand-chose. La semi-fiction à la radio est d’ailleurs consternante, trop aléatoire pour qu’on s’y agrippe en quelque façon que ce soit.


La romance, bien que très présente, est acceptable quoi qu’un peu niaise et prévisible, toujours à lambiner inutilement comme cela se fait dans ce genre de mangas. Tachibana est trop idyllique pour avoir le goût du vrai. Koda exceptée, les femmes qu’on retrouve ici sont toutes trop parfaites dans ce que présente leur caractère pour qu’on ait envie de croire en elles.


Puis la trame – qui je le rappelle, ne nous avait rien promis – s’engage dans une bifurcation inattendue avec l’implication de la secte des ondes, puis plus tard l’intrigue de l’Hikkikomori et du séisme. Ce n’est clairement pas un manga sur la radio ; ce serait de toute manière limiter Born to be on Air à bien peu de chose que de le borner à son bête synopsis. Le petit encart, « c’est toujours un manga sur la radio », après que les ondes acoustiques aient généré un candidat mandchou enragé, était de très bon aloi.

L’inattendu de cette déviation scénaristique m’a rappelé Me and The Devil Blues, là où le lecteur est soudain pris à contrepied sans qu’on sache trop où l’intrigue veuille en venir, sans qu’on ne rechigne de trop à la suivre néanmoins.


Ça vivote ensuite, avec le Valentine machin, autant adressé à nous comme l’annonce d’une conclusion que d’un pis-aller. Born to be on Air se lit, mais rarement pour le plaisir en dépit de ses éminentes qualité ; l’accroche ne saisit que peu un lecteur qui ne s’en sent jamais franchement la cible sans jamais pourtant être exclu. Est-ce à lire pour tant ? Je n’ai aucune réponse à cette question, le manga n’ayant alors gardé sur moi aucune prise après que je me sois émancipé des dernières pages parues à ce jour.


C'est en tout cas un six sur dix qui vaut moins que le cinq attribué à l'Habitant de l'Infini.

Josselin-B
6
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il y a 5 jours

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Josselin Bigaut

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7

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