Les Pompiers fument la Pipe 10 – Nihon edition

Mes recommandations m’auront suggéré à la suite deux œuvres de Masahito Soda, celle-ci faisant alors suite à ma dernière critique en date. Cet abonné scrupuleux, dont je devine qu’il se sert de moi comme détecteur de mines anti-personnelle pour séparer à sa place le bon grain de l’ivraie au cyanure – je te retrouverai ! – aurait, je crois, était plus avisé de m’enjoindre à lire Daigo avant que ne vienne Capeta. Cela, afin que je suive chronologiquement les œuvres de l’auteur.


Je retrouve ici la patte que je croyais héritée de Hideki Arai, bien que celle-ci soit largement plus formatée pour être imputable au maître à chaque case qui se succède, les esquisses ici aspirant plus vraisemblablement à au moins égratigner le style de Yukito Kishiro sur la fin du séjour. Le séjour graphique sera ainsi plus plaisant qu’il ne l’a été à courir après les bagnoles avec Capeta.


Même auteur, mêmes écueils, nombre de personnages sont exubérants à nous disposer à mettre des baffes sur le papier, avec Akamasu en guise de rival froid et ténébreux. C’est du Naruto avant l’heure, jusqu’à ce que Kanda, en caïd bourru mais professionnel, occupe le rôle de nouveau rival. Ce problème d’écriture inhérente aux personnages n’est heureusement pas le cas de tous, mais Daigo, comme vitrine d’une œuvre qui porte son nom, porte quelque peu préjudice au contenu chaque fois qu’il se manifeste. On appréciera toutefois que l’humilité lui vienne bien assez tôt après avoir tant fantasmé la profession de pompier.


Travail de documentation il y eut pour se renseigner sur les aléas du métier. Des informations qui gagneraient à être partagées au plus grand nombre, notamment, sur le risque de faire des étincelles en cas de fuite de gaz et ce, au moindre geste anodin. Ça, on aurait pu me le mentionner tout jeune durant mes classes de secourisme par exemple ; il aura fallu que je l’apprenne à trente ans révolus grâce à un Japonais qui ne fait même pas profession d’instruire. Bravo, l’Éducation Nationale, bravo ! Quand vous serez-moi occupés à enseigner la Shoah et vouloir que les gosses se fassent mutiler chirurgicalement pour être eunuques, pour pourrez peut-être en revenir aux fondamentaux.


Il y a, chez les personnages de Daigo, ce petit côté « héros qui fait mine de ne pas l’être » avec du Hokuto no Ken plein faciès. C’est peut-être ça, la masculinité toxique ; celle qui vous sauve la vie en cas de crise. Aussi, Daigo et ses airs de freluquet grandiloquent fait tache au milieu du paysage, dépréciant finalement la fonction de pompier à si souvent se perdre en éclats tapageurs. Sa propension quasi-surnaturelle et ses instincts opportuns, à toujours voir ce qui ne peut être vu, n’aident franchement pas à le consolider comme un héros digne de ce nom, celui-ci étant trop habilement juché sur la narration pour se tenir si haut. Le reste de ses confrères est heureusement là pour sauver l’honneur ainsi que la crédibilité de la profession.


Je trouve tout de même un poil malsain de faire naître une rivalité entre casernes de pompier. Ceux arrivés les plus tardivement sur le lieu de l’incendie, je crois, devraient se réjouir que quelqu’un ait pu arriver avant eux pour agir au plus tôt. La compétition en cas de vie ou de mort, c’est à déplorer ; la fibre Shônen prend parfois des attraits franchement indécents à vouloir imposer ses codes sur tout sujet donné. L’auteur en tiendra heureusement compte quelques chapitres plus tard.


Sans trop connaître les exactes attributions des pompiers japonais, je déplore que leurs interventions, ici, ne soient principalement occasionnées qu’autour des incendies et d’accidents majeurs comme une voiture en équilibre sur le bord d’un pont, une inondation torrentielle, un bâtiment inondé rempli de fils électriques, un camion transportant des produits toxiques renversé en pleine tempête avec risque d’éboulement... Le fait que la caserne soit au départ mobilisée pour sauver un chat sur un toit indique qu’il existe d’autres occurrences moins dramatiques où les pompiers sont mobilisés, et cela aurait gagné, je crois, à être davantage exploité dans le récit afin de le rembourrer d’un surplus de fiabilité. Que Daigo et consorts interviennent sur des terrains très sensibles trouve toutefois son sens lorsqu’il rejoindra l’équipe des secours d’urgence.


Excepté ces griefs – nombreux, quoi que pas aussi problématiques qu’il y paraît – Daigo, Soldat du Feu, se lit d’une traite. L’intensité est correctement gérée par la scénographie, la variété des cas pratiques fait que l’intrigue se renouvelle dans la continuité de son parcours, notamment avec un arc de formation au sauvetage d’urgence. De même les personnages qu’on trouvait horripilant, à la longue, finissent par nous être sympathiques.


Daigo, du fait qu’ils soit aussi débonnaire qu’on puisse l’attendre un héros de Shônen, enfreint constamment les règles de sécurité du milieu. Que cela se fasse à dessein n’a pas d’importance, puisque des sanctions hiérarchiques sont de rigueur, jusqu’à devoir répondre devant des enquêteurs. J’apprécie qu’un personnage principal, quand bien même il ait accompli ses sauvetages avec les meilleurs intentions du monde, soit néanmoins sanctionné pour ses manquements aux normes. Car Dieu sait que c’est rare un protagoniste de Shônen qui soit tenu d’assumer les conséquences de ses actes. Pas assez à mon goût cependant.

Les issues des interventions de la caserne, malgré le tumulte et le risque, ne souffrent jamais de pertes. Une fois sauvées, les victimes de l’incendie pleurent de joie, et jamais ne meurent. Or, les pompiers ne peuvent pas toujours sauver tout le monde, ce qui une fois de plus entame le réalisme d’une œuvre n’allant pas au bout de sa démarche pour ménager les sentiments de son lectorat. Notez que le manga, en tout et pour tout, comptabilisera à son terme une seule perte parmi les protagonistes : Gilles… le chien, mort de vieillesse.


Shônen oblige, les désastres auxquels seront confronté Daigo iront crescendo, jusqu’en Indonésie pour l’arc final du sauvetage de la demoiselle en détresse au beau milieu d’un feu de forêt. Au regard du nombre de fois où Ochiai s’est trouvée mêlée de près ou de loin aux accidents auxquels a dû faire faire son élève, je commence quand même à me demander si elle n’a rien à y voir dans l’affaire.


Nonobstant les grosses ficelles du Shônen parfois trop visibles en fond pour ce qui tient à ses codes étriqués, Daigo, Soldat du Feu, est un manga qui mérite d’être lu. Il est parfois trop dramatique dans ses tons, mais c’est parce que la profession s’y prête bien, après tout. En dépit de quelques extravagances et actes héroïques de trop bon aloi, les interventions de Daigo sont plaisantes à lire et on ne se force pas pour enchaîner les vingt tomes à notre portée. L’auteur a su s’arrêter à temps, sans risquer l’excès surenchère dans le drame – on en était tout de même à trois incidents dont la gravité se considérait à l’échelle nationale puis, internationale – pour achever ses œuvres là où elles devaient naturellement clôturer leur parcours.

Josselin-B
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le 24 mai 2025

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Josselin Bigaut

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