Fini, les préliminaires, plus de cajoleries qui tiennent. Les mangakas sans idée, lorsqu’ils voulaient nous jeter de la bastonnade plein les mirettes durant une décennie au moins, prenaient habituellement le temps d’établir une ébauche de contexte pour justifier qu’un premier affrontement fut de rigueur.
Ces considérations appartiennent cependant à un autre temps. Y’a la bagarre parce qu’il y a la bagarre ; l’origine, le phénomène et la finalité se confondent alors en une osmose cosmique d’où se dégage une aura flamboyante de fainéantise caractérisée. Et c’est tant mieux pour qui se jette dans la débâcle annoncée, ce dont je me suis fait un sacerdoce depuis quelques années déjà. Au moins, on s’épargne le superflu.
À la question « Est-ce écrit convenablement ? » la réponse me parvînt avant même que je n’eus le temps de formuler la moindre interrogation. Deux personnages, dans la rue, se battent. L’un est un golgothe à la masse musculaire improbable et le second, plus menu, l’avoine sans avoir en retour une égratignure à déplorer. Si je me nourrissais de consternation je pourrais être autonome rien qu’en m’abaissant à ce genre de lecture.
Car on s’y abaisse ; Kengan Ashura est de ces titres qu’il faut lire à plat ventre si l’on souhaite être à niveau pour en apprécier ce qu’il nous délivre. La violence, comme partout ailleurs, y est débridée sans une once d’originalité, de finesse ou de réalisme. Au chapitre premier, le Hokuto Shinken paraît déjà de rigueur dans un manga qui, nous assure-t-on, traite d’arts martiaux.
« Alors, tu vois Kazuo, du temps des Tokugawa, y’avait des guerres, c’était violent, du coup, nous aussi on fait la guerre, mais avec la bagarre, parce que… c’est bon pour les ventes ? Enfin bref, y’aura de la bagarre pour l’entreprise, tu as compris ? »
L’auteur se sera trouvé un prétexte à la violence au deuxième chapitre. Mieux eut valut alors qu’il s’abstînt tant celui-ci est ridicule. Le manga, de là, s’écrira sans enjeu autre que celui d’un faux-semblant ; d’une intrigue jetée sur nos pieds comme une piteuse excuse.
Que je vous résume, le protagoniste, avec son sourire carnassier, son air sûr de lui – car il se sait protégé par la narration – et sa vacuité constitutive, tape sur des gros gabarits avec des têtes difformes et cruelles. Son manager, avec les lunettes, fera office d’élément comique – présumément du moins – il est faible et fait des grimaces car il est étonné. Et cela, c’est drôle. C’est aussi drôle que l’intrigue est consistante.
Le scénario ? Les combats s’enchaînent, les tournois se multiplient, les anatomies musculaires grotesques se contorsionnent en un défilé d’absurdités morphologiques, pis y’a des têtes qui sont maravées.
Mais dites-le, messieurs Sandrovitch et Daromeon, dites-le que vous avez voulu faire du Baki à pas cher. Si vous ne le dites pas, vous le mimez en tout cas drôlement bien. À supposer qu’un quelconque bien puisse ressortir d’une telle démarche.
C’est encore un de ces mangas qui, dans un chapitre seulement ; un tome au mieux, a condensé l’intégralité de ce qu’il serait, se perpétuant alors inlassablement sans jamais se renouveler à compter de ce point de départ. Les mangas d’arts martiaux sont des machines à fric bien opportunes. Car contrairement aux Shônens nekketsus, qui exhortent au moins leurs auteurs à la construction d’un semblant d’univers ainsi qu’à la constitution d’un enjeu, même médiocre, ce genre-ci n’a à s’embarrasser d’aucune gêne de ce genre-là. Les combats s’imposent car le calendrier se propose. Les combats étant programmés d’avance, aussi n’y a-t-il plus qu’à les enchaîner pour expédier un nouvel adversaire aussitôt après que celui-ci nous fut présenté.
Les amateurs de gore pour midinette, qui ignorent manifestement tout de ce qu’est une violence magnifiée par le trait et l’esprit, se bâfreront peut-être goulûment de la pitance infecte qui leur vient ici. Y’a un public pour ça, faut pas croire. J’ignore comment une amorce se répétant inlassablement soit à même de stimuler quelque esprit humain que ce soit mais… oh attendez, je pense avoir la réponse à ma question.
La fin ouverte du mal en marche laisse à croire que les auteurs se sentiraient bien de reprendre leur itération scripturale. Outre ce qui est du dessin, exagérément brutal dans ses traits pour flatter les bas instincts masculins, un scénario tel que celui dont on nous a accablé vingt-sept tomes durant peut aisément être écrit par une intelligence artificielle. Cela, à supposer que ça n’ait pas déjà été le cas tant la moindre ligne du script apparaît comme une insulte à tout intelligence qui soit.
Disgrâce suprême – car on ne chie jamais suffisamment dans la bouche des aficionados azimutés – l’adaptation animée se sera faite en animation 3D du pire effet. Ce dont se contente et se gargarise un public affamé qui, déjà, a suggéré une nouvelle saison rien que par son plébiscite indolent.
C’est à vous faire relativiser les Shônens contemporains. Au moins, eux ont l’excuse de s’adresser à un public plus jeune – en principe – et donc plus influençable. Mais dans un monde où des millions, sinon des milliards d’homme adultes se complaisent à observer vingt-deux troglodytes taper dans une sphère en cuir durant près de deux heures, est-il seulement permis de se navrer que cette même engeance varie son régime auprès de quelques exécrations nippones comme celle-ci ?
Que dire si, dans un soupir peut-être, conseiller la lecture d’un Shamo ou d’un Shigurui ; que chacun sache à quel point la discipline martiale, dans le sang, le sordide et la douleur, peut s’accomplir au milieu d’un périple plaisant tout autant à l’esprit que pour le regard. Même un Ippo ou un MMA : Mixed Martial Artist feront l’affaire ; mais pas ça…
Car quitte à assumer un plaisir coupable, autant que celui-ci soit fameux. Ce n’est pas de gaieté de cœur que je recommande Baki, mais de même que les héroïnomanes ont besoin de drogues de substitution pour décrocher, je leur recommanderai de passer au moins par là pour ensuite monter les paliers jusqu’à se hisser en dehors de la fange. Vous avez un problème, mais vous pouvez vous en sortir. Suivez mes conseils et le goût de merde qui vous macule les méninges depuis trop longtemps s’estompera enfin. Il suffit simplement de demander de l’aide.