Love Hina
6.1
Love Hina

Manga de Ken Akamatsu (1998)

L'infâme est l'avenir de l'homme

Chaque jour, on en apprend plus sur le monde qui nous entoure ou celui dans lequel on s'immerge couramment. Et plus on sait, moins on veut savoir. Ne vous fiez pas comme moi aux apparences ; Love Hina est un Shônen. Figurez-vous mes bons sires qu'il existe, dans un spectre restreint - très restreint - de l'édition Shônen, une part allouée à la romance. Allez comprendre. Moi, comprendre, je ne peux plus ; je ne veux plus. Shônen Pantsu que ça s'appelle. Pantsu étant - bien entendu - la version dérivée de «Pants» (sous-vêtements) prononcée à la japonaise. Ami du bon goût, au revoir. Au revoir, adieu et à jamais. Le Shônen Pantsu peut aussi être nommé Shônen Harem comme dans le cas présent où un protagoniste masculin est entouré de greluches qu'il cherchera - bon an mal an - à culbuter à chaque chapitre. Mais avec ce qu'il faut de sentiment, attention. Car on peut être obsédé sexuel et avoir quelques rudiments de savoir-vivre. Ce sera peut-être la seule leçon que j'aurais retirée de ma lecture de Love Hina. Ça, et qu'il ne faut pas lire de Shônen Pantsu. Mais alors... vraiment pas.


Ken Akamatsu,qui a, à mon sens, perdu le droit d'être un homme suite à sa forfaiture, nous gratifie donc d'une histoire d'amour nigaude et cruche à souhait. Ce qui distingue Love Hina de votre Shojô coutumier - et vomitif - tient en réalité à peu de choses. Peut-être plus d'exhibitions - car on s'adresse à des jeunes mâles en pleine puberté - et un personnage principal masculin au milieu d'un troupeau de femelles là où l'inverse est habituellement de mise.
Ayant beau ne pas raffoler personnellement de comédies dramatiques - et c'est peu dire - je peux en tout cas appréhender que le genre puisse autant s'adresser à un public masculin que féminin. Ça n'horripile pas comme j'ai été ici horripilé. Qu'un personnage masculin s'imbibe dans un cadre typiquement féminin - démographie locale oblige - implique que ce qui en résultera sera de nature purement féminine. Déjà que l'idée de la femme selon les auteurs Shojô n'est pas bien fameuse même quand une femme est au bout du crayon, soyez certains Akamatsu ne contribuera pas davantage à laver l'honneur de ces dames avec Love Hina.


Une histoire d'amour tire ici ses racines depuis la prime enfance. Que personne ne se berce d'illusions cependant, vous ne relirez pas Bonne Nuit Punpun pour autant. Cette histoire d'amour niaiseuse cultivera le mystère insoluble de cette idylle de bac-à-sable ; la fille avec laquelle Keitaro avait promis de se marier alors était-elle Naru ?
Monsieur Conan Doyle rentrez chez vous, madame Agatha Christie, allez vous coucher et tous deux, faites place ; faites place à ce maître de l'énigme insolvable qu'est Ken Akamatsu. Auteurs de romans policiers à suspense, baissez tous les yeux alors que se dévoile devant vous ce sphinx des temps modernes qui vous fera vous interroger sur ses mystères jusqu'à ce que vous en perdiez le sommeil. Soyez subjugués par... oh eh puis merde, oui, la petite fille, c'était Naru. Je ne révèle rien en écrivant cela puisque tout était écrit quatorze tomes à l'avance à un point où on jurerait l'auteur ne cherchait même pas à cacher cette révélation en peau de lapin. Tout est cousu de fil blanc et mal reprisé de surcroît.


Un binoclard chétif écrit alors les aventures d'un binoclard chétif qui se retrouve à vivre en cohabitation avec cinq demoiselles dans un onsen. De tous les endroits de cette terre, il aura fallu que ce soit un onsen. Onsen qui est, pour ceux qui l'ignoreraient, un espace dédié aux bains publics dans des sources chaudes. Autant dire que nous avons tôt fait de comprendre que les amoureux de la subtilité et de l'élégance ne seraient clairement pas conviés à la noce. Les premiers chapitres auront su en tout cas me convaincre de cela alors qu'ils défilaient devant mes yeux atterrés et contrits.


Il ne se passera d'ailleurs pas dix pages à compter du premier chapitre d'ici à ce que ne pointe la première scène d'ecchi. Et devinez où ? Dans l'onsen ! À croire qu'il n'a été mis en place rien que pour ça. Mais je suis un mauvais esprit et mon procès d'intention n'a sûrement pas lieu d'être. N'est-ce pas ?
Du quiproquo facile, vaudevillesque et répétitif, vous allez en bouffer. Mâchez bien car croyez moi, c'est difficile à digérer. Je ne comprendrais jamais le principe de l'ecchi ou même des scènes d'amour pétries de nudité partielle dans les films et séries. Il y a de trop pour un honnête homme et pas assez pour qu'un vicelard se rince l'œil correctement, qui peut se satisfaire de ce genre de scènes ? Qui ? Je veux dire, s'il s'en trouve parmi les lecteurs de cette critique, de grâce, commentez et faites-moi savoir en quoi un homme normalement pourvu sur le plan intellectuel peut trouver son compte dans du ecchi.


Love Hina est tant envahi par ces instants demi-licencieux que ces derniers se confondent avec la charpente de l'œuvre. À force de les subir à chaque chapitre - sans que jamais ça ne soit drôle en plus - on en vient à rêver d'un chapitre où Keitaro n'épie ou ne tripote pas malencontreusement une de ses petites camarades et où ces dernières arrêtent de rougir ou de se dévêtir ne serait-ce qu'un court instant, juste de quoi trouver un semblant de répit au milieu de ce festival du mauvais goût.


Il y aura quand même une chose à mettre au crédit de Love Hina, c'est l'acharnement constant des personnages autour de leurs études. Les études étant habituellement et même le plus souvent totalement éludées des mangas - y compris de ceux centrés autour d'une école - il est plaisant de voir qu'un auteur cherche à encourager ses lecteurs à persévérer dans leurs études et à ne pas désespérer malgré les échecs. Il s'agit sans doute là d'un des messages les plus positifs et constructifs qu'un auteur de Shônen ait jamais adressé à ses lecteurs. Quel dommage qu'il se soit senti obligé de l'enrober au milieu de demoiselles passant la sainte journée à s'imbiber nues dans les sources chaudes. Qui sait, peut-être était-ce pour lui une manière de faire passer un message subliminal à la manière d'un Edward Bernays ou Joseph Goebbels en laissant entendre à qui travaillerait bien à l'école qu'il serait un jour entouré de nanas à poil. C'est une idée de la pédagogie. Pas la mienne, mais c'en est une quand même.


Et ces demoiselles, parlons-en puisqu'il n'est question que d'elles et plus particulièrement de leur absence perpétuelle de vêtements. Chacune correspond à un archétype ; le quintet servi dans l'ordre partant de la Tsundere (merci Gintama pour les termes techniques) à la jeune fille timide et fébrile. La jeune fille timide et fébrile de treize ans que le protagoniste de vingt berges aura vue à poil à raison de cent fois au moins. Mais j'ergote... j'ergote...


Autre chose cousue de fil blanc, toute personne ayant au moins deux sous de jugeotes, à en juger par la qualité de l'œuvre - ou plutôt de son absence - saura déduire sans se fouler les méninges que Keitaro et Naru se mettront à la colle d'ici à ce que n'arrive la fin de la parution. Je ne commettrai évidemment pas l'affront de prétendre au lecteur de cette critique j'attendais autre chose de Love Hina qu'une histoire d'amour convenue aux relents godiches et idiots.


Puisque la vie était un long fleuve - ou plutôt un onsen - tranquille, exception faite des facéties de Todai, j'attendais le trouble-fête au tournant. Il survint au détour d'un volume lointain en la personne de Seta. Il apporta juste son grain de sel le temps de quelques chapitres pour laisser planer le doute - en lequel personne ne souscrivait - quant aux amours de Naru.


Dans ce long fleuve tranquille, on boit souvent la tasse et on manque surtout de se noyer à condition de ne pas se montrer vigilant. Car sur quatorze tomes, la trame - déjà dessinée par avance - tourne en rond et aura pour seul mérite de ne pas s'égarer en chemin.
Ça aura mis neuf tomes à rejoindre Todai là où Light Yagami n'en aura eu besoin que d'un seul et y sera parvenu à la première tentative en ayant en plus un hobby à côté. Comme quoi, il y'avait de la mauvaise volonté de la part de Keitaro.


Comme on ne déroge pas au classicisme absolu du genre - du sous-genre - qu'est la romance dans le manga - fusse-t-il Shojô ou Shônen - le lecteur aura droit à ce plaisir exquis qu'est la ritournelle du baiser attendu entre deux protagonistes et qui ne vient jamais, sans cesse repoussé par la faute de multiples contretemps. Cousu de fil blanc disais-je, mais on voit en revanche la grosse ficelle dépasser. Cela, ainsi que toutes les autres «astuces» narratives inhérentes au genre sont usantes, juste... usantes.


À la réflexion, Love Hina aura étiré sur quatorze longs tomes ce qui aurait largement gagné à être condensé en trois seulement. L'auteur prolongera le calvaire jusqu'à s'abaisser à la terrible ellipse de six mois. Tout aura été entrepris dans son œuvre, tout, sauf le meilleur qu'on n'espérait de toute manière plus une fois le premier chapitre terminé.


Ça se finit et ça se finit bien. Bien pour les personnages j'entends, pas pour le lecteur. Avez-vous de toute manière déjà entendu parler d'un Shojô - oui, je considère l'œuvre comme un Shojô puisqu'elle emprunte tout au genre - qui se soit jamais terminé dans le drame ? Les histoires d'amour dans les mangas ont la mauvaise habitude de se dessiner au feutre rose à paillettes. Il y a des exceptions, mais c'est déjà lorgner sur les terres du Seinen que de les chasser.


Nous serons évidemment pris de stupeur alors que l'IN-CROY-ABLE révélation finale se dévoilera à nous à l'occasion des retrouvailles de la fine équipe du Onsen : la fille à laquelle Keitaro avait fait la promesse de se marier étant enfant était nulle autre que Naru. Étonnant, non ? Ça tombait de toute manière rudement bien puisqu'ils s'étaient mariés.
Les imbroglios et les lamentables fausses pistes engagées par le scénario n'auront jamais fait douter le lecteur de la prévisibilité du récit. C'était écrit en grosses lettres depuis le début et on ne pouvait pas faire semblant de ne pas l'avoir lu.


Le tout nous aura été servi par des dessins plats, à peine au-delà du passable, tout juste bons à nous révéler les personnages sous des traits aussi élémentaires que ceux ayant servi à ériger leur personnalité ou bien même le cadre du récit. Des graphismes basiques mais propres à un Shônen. Ou plutôt un Shojô au masculin.
Un Shojô au masculin, ça vaut bien son pendant inverse. La note en atteste.


Parce qu'il ne faut pas croire, en dépit de la tonne de griefs que j'ai à faire pleuvoir sur Love Hina, je concède néanmoins qu'une comédie dramatique distribuée comme Shônen aurait pu fonctionner. Il eut fallu pour cela que le personnage masculin donne le change au sexe faible, qu'il surjoue autant la masculinité qu'elles exagèrent les aspects multiples de leur féminité.
Love Hina avec Kenshirô plutôt que Keitaro, ça aurait pu me décrocher quelques sourires et plus encore. Mais avec un ersatz de mâle effacé qui passe son temps à baisser les yeux devant la volaille qui piaille dans cette basse-cour de onsen, les femmes tiennent alors le haut du pavé et plus rien ne permet alors de distinguer l'œuvre d'un Shojô.


Shônen, oui, c'est vite dit quand on parle de Love Hina. Le manga aura je pense davantage écopé de la partie du lectorat féminin rattachée au Weekly Shônen Magazine que d'un lectorat masculin venu s'y aggloméré de bon gré. Les chromosomes Y sont de trop si on en entreprend une lecture de cet acabit ; forcer sa lecture malgré cela, c'est ici forcer la nature. Love Hina se lit en traînant la patte si l'on a trop d'exigence. Trop étant le minimum syndical attendu d'un Shônen-lambda.

Josselin-B
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le 13 juil. 2020

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Josselin Bigaut

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