Alexandre Astier, créateur, scénariste et interprète de Kaamelott, a toujours eu l’ambition de dépasser le simple cadre de la comédie de format court qui a fait connaître la série sur M6. Lors des premiers livres, et en particulier du Livre I, il rêvait déjà d’explorer des récits relevant davantage de la grande épopée d’heroic fantasy, avec des créatures fantastiques, des combats spectaculaires et une atmosphère épique. Malheureusement, les contraintes budgétaires inhérentes à un programme court ne lui permettaient pas d’inclure des dragons, des batailles massives ou d’autres éléments spectaculaires caractéristiques du genre. Sur le petit écran, il devait donc composer avec des moyens limités, mais sur papier, les contraintes disparaissent : le dessin ouvre la porte à toutes les extravagances, sans limite autre que l’imagination de l’auteur.
En novembre 2009, Kaamelott (Tome 4) : Perceval et le dragon d’Airain sort chez Casterman. Fidèle à son habitude, Alexandre Astier ne délègue pas l’écriture et signe lui-même le scénario, garantissant ainsi une continuité avec l’univers original de la série.
Le point de départ de ce tome est à la fois classique et prometteur : le dragon d’Airain, créature mythique et redoutée, s’est réveillé. Face à lui, Lancelot prend l’initiative de se dresser en champion, fidèle à son image de chevalier noble et intrépide. Ce choix scénaristique est fort, car il replace Lancelot au cœur du récit avec toute l’aura héroïque qu’on attend de lui. Mais là où l’intrigue surprend, c’est dans la présence inattendue de Perceval, Caradoc et… Leur fameux furet de guerre, qui suivent l’expédition de près. Cette alliance improbable promet un mélange entre l’épique et l’absurde, propre à l’univers de Kaamelott.
Le scénario proposé par Alexandre Astier déroute, car il s’éloigne volontairement de l’humour omniprésent auquel on est habitué dans Kaamelott. Ici, la tonalité est plus grave, plus épique. On y retrouve un Lancelot en pleine lumière : courageux, impressionnant, presque légendaire. Le personnage prend des allures de héros de fantasy pure, ce qui tranche radicalement avec l’univers comique et décalé des premiers tomes. Cette orientation apporte un souffle nouveau à la série en bande dessinée : on ne rit pas autant, mais on est happé par une atmosphère chevaleresque qui manquaient jusqu’ici. C’est une évolution audacieuse et, à mon sens, rafraîchissante.
Malgré l’omniprésence de Lancelot, ce sont finalement Perceval, Caradoc et le furet de guerre qui marquent les esprits. Le duo conserve toute sa drôlerie habituelle, mais ce tome prend le temps d’approfondir Perceval. Pour une fois, il n’est pas seulement le comique de service : il révèle un courage inattendu, un début de grandeur héroïque. On se prend à souhaiter que ce soit lui, et non Lancelot, le véritable héros de l’histoire. Cette évolution du personnage est une vraie réussite, car elle enrichit son rôle au-delà de la simple caricature. Voir Perceval gagner en profondeur, tout en gardant son humour absurde, apporte une dimension touchante et réjouissante à la lecture.
Steven Dupré, déjà critiqué dans les volumes précédents pour son traitement des personnages (Caradoc en particulier), échoue ici sur un élément central : le dragon. On pouvait espérer un monstre majestueux, imposant, digne des grandes fresques d’heroic fantasy. Or, le résultat est maladroit, manquant de puissance et d’élégance. C’est d’autant plus frustrant que Dupré avait montré, dans les premiers tomes, qu’il savait donner vie à un univers fantastique crédible. Pourquoi alors ce raté sur une créature aussi emblématique ? Le contraste entre la qualité du scénario et la faiblesse graphique est flagrant, et cela ruine en partie l’immersion. On ressort une nouvelle fois déçu par un dessin qui ne rend pas justice à l’ambition de l’histoire.
Kaamelott (Tome 4) : Perceval et le dragon d’Airain est sans doute le plus ambitieux de la série : il ose un virage plus épique, donne une place héroïque à Lancelot et révèle un Perceval touchant et inattendu. L’écriture d’Alexandre Astier parvient à surprendre et à capter l’attention, même en réduisant l’humour pour privilégier l’aventure. Malheureusement, l’expérience est ternie par les dessins de Steven Dupré, qui peinent à traduire l’ampleur et la majesté des situations, en particulier avec le dragon. On reste donc partagé : d’un côté, une histoire solide et pleine de potentiel ; de l’autre, une mise en images qui affaiblit la promesse initiale. Un tome passionnant à lire, mais frustrant à regarder.