Magnifique. Je confirme décidément mon attrait pour l'oeuvre de Atsusho Kaneko, happé une nouvelle fois par son style graphique comme scénaristique.
Soil, petite bourgade lynchienne, ville nouvelle dortoir bâtie sur ce qu'on peut penser être une toile géographique vierge. Sombre erreur car nul lieu n'a d'histoire qui la hante. Et il suffit d'un fait divers étrange pour que le vernis social de la communauté idéale se craquelle et révèle progressivement les secrets honteux de voisinages, la souillure derrière les sourires et les jolies fleurs, l'insupportable intrusion de l'étranger dans le bloc à l'intolérante homogénéité. Soil comporte dans une de ses saynètes une splendide illustration de la perversité, avec une subtilité qui la rend plus terrible encore.
Le fil conducteur du "corps étranger" traverse les domaines sociaux, psychologiques, surnaturels et historiques de ce manga, et alimente la réflexion du lecteur sur les rapports humains, lecteur qui ne peut que s'attacher à ces personnages dévoués à mettre du sens dans le mystère et le sordide. Certains choix d'évolution scénaristique sont étonnants, voire discutables (les fonctionnaires de la Préfecture), mais même ceux-là apportent quelque chose à une histoire qui se paie le luxe de retomber sur ses pieds malgré ses nombreuses extravagances. Inutile de vouloir les détailler tant il convient de les découvrir de manière naïve.
Et quel coup de crayon ! Je suis fan de ce trait épais et pourtant si précis, assez anarchique dans les premiers tomes, de ces gros plans mono-oculaires qui ponctuent les planches, certains dégageant une puissance scotchante (je suis resté 5 min à savourer la profondeur d'un regard d'une case de coin de page). Le style de Kaneko est vraiment atypique, aux confins du manga et du comic, c'est vraiment rafraichissant.
Je ne sais pas si Soil parlera à tout le monde mais en ce qui me concerne, je dis : encore.