La principale difficulté avec les sagas, a fortiori lorsqu’elles s’étendent sur plus d’un demi-siècle, ce n’est pas l’obligatoire renouvellement du casting. Daniel Craig, qui vient de tourner son dernier 007, aura été le 6e acteur à endosser le costume de James Bond. Comme chaque fois, la transition avec Pierce Brosman s’est faite sans que cela ne perturbe le public au-delà de l’inévitable période d’adaptation nécessaire à ce dernier pour apprivoiser son nouveau héros.


La principale difficulté avec les sagas n’est pas non plus d’éviter de tomber dans la routine quand on sait habillement faire évoluer son personnage avec son temps, ce qui permet aux nouvelles générations de s’identifier à la même icône, encore et toujours.


Non la principale difficulté avec les sagas, c’est la chronologie. Jusqu’il y a peu de temps, ce n’était d’ailleurs pas un problème pour 007. Avant Casino Royale, les films, même ceux tournés avec le même acteur, n’étaient pas conçus comme un tout, ni même une suite logique. Bien sûr on retrouvait ici ou là des clins d’œil à d’autres opus. A l’image du shérif Pepper ou du mythique Requin, on a même croisé certains personnages secondaires dans plusieurs films. Mais il n’existait pas vraiment de fil conducteur.


Voilà que depuis peu, les scénaristes cherchent clairement à suivre une trame. Ils s’attachent à creuser le personnage de Bond qui n’a jamais été aussi glacial que depuis qu’il est incarné par Daniel Craig. Personnage central mais dont on sait finalement très peu de choses excepté son machisme, son humour, son flegme à toute épreuve, son goût prononcé pour les femmes et les vodkas martini "au shaker, pas à la cuillère".


Dans « Casino Royale », Bond tombait amoureux pour la troisième fois seulement après « Au service secret de sa majesté » (1969) sous l’éphémère Georges Lazenby puis « Permis de tuer » (1989) avec le très froid Timothy Dalton. Des amours aussitôt endeuillés. Dans « Skyfall », on disséquait le passé de Bond. On s’en prenait à un lieu (le MI6) et à un personnage qu’on pensait indéboulonnable : M.


« Spectre » s’inscrit dans la lignée de « Skyfall » en ce sens qu’il poursuit sa trame scénaristique à défaut de respecter à la lettre sa noirceur, principal élément du virage amorcé par « Skyfall ». Là réside le nœud du problème. Que « Spectre » soit conçu comme une suite de « Skyfall » ne pose aucun souci. Mais que « Spectre » introduise Christopher Waltz comme le célèbre numéro 1 Ernst Stavro Blofeld (jeune) est un anachronisme majeur. Certes « Spectre » est adapté d’un des tous premiers romans écrits par Ian Fleming. Mais il est quand même sacrément difficile de se convaincre que l’action de ce Londres moderne se passe avant celle des films de Sean Connery tournés en pleine Guerre froide.


Si l’on parvient à fermer les yeux sur cette ineptie, « Spectre » fait probablement partie des meilleurs Bond modernes avec « Casino Royale » et surtout « Skyfall ». Si ce dernier avait clairement renouvelé le genre et entrouvert la porte d’un nouveau 007, « Spectre » hésite entre hommage au glorieux passé de l’agent secret britannique et ancrage dans notre société des nouvelles technologies numériques. Plusieurs séquences, notamment le formidable pré-générique à Mexico (« Vivre et laisser mourir »), mais aussi la traque de Blofeld dans les ruines du MI6 (en référence au duel final dans « L’homme au pistolet d’or » sur l’île thaïlandaise ») ou encore le corps-à-corps dans le train (clin d’œil à Tee Hee) sont des références à d’anciens films.


Malgré certaines scènes de poursuites un brin saccadées, Sam Mendes maitrise parfaitement sa réalisation toujours soignée, parfois virevoltante, à défaut d’être avant-gardiste. Le plan séquence d’ouverture à Mexico est un petit bijou technique. Rome est merveilleusement filmée de nuit. Il s’agit du 007 le plus long de la saga (2h28) mais on prend plaisir à suivre Bond dans sa quête sans jamais regarder sa montre. Le bon cadencement des scènes d’action (celle de l’hélico est très réussie, celle de la poursuite en avion un peu too much) masque un scénario plutôt minimaliste mais qui évite l’écueil du rebondissement tarte à la crème de dernière minute.


A l’image de Monica Bellucci dont on se demande à quoi elle sert, le casting (notamment Léa Seydoux) est correct mais sans plus. Contre toute attente le moins convaincant est le personnage clé joué par Christopher Waltz qui cabotine un peu trop.


Très présente tout au long du film, la musique qui remixe la plupart du temps des thèmes connus est bien utilisée. On regrettera néanmoins le choix de la BO d’ouverture : trop lover et inapproprié pour un Bond. Il faut croire qu’on ne peut pas dénicher chaque fois une Adèle.

Teddy_KGB
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le 11 nov. 2015

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