Le spectateur pensera plus d'une fois, devant 1917, à ce qu'il avait ressenti sur la plage du débarquement de Il Faut Sauver le Soldat Ryan. En tant qu'acteur de l'action, comme s'il avait été plongé au coeur du combat.


L'idée force de 1917 réside toute entière dans ce parti pris. En suivant Blake et Schofield, celui qui a payé sa place ressentira à fleur de peau la tourmente de cette guerre aveugle, la souffrance qu'elle a engendrée, la destruction qu'elle a laissé derrière elle. Le réalisme du point de vue est quasi constant, rappelant à chaque instant ,et à chaque détour de la caméra, la boue collant aux basques des soldats, les rats s'insinuant partout où ils peuvent, ces corps enterrés à flanc de tranchées, qui en ressortent parfois dans un masque figé d'horreur, l'eau croupie au fond des cratères creusés par les explosions.


Et encore une fois, ces cadavres jonchant le champ de bataille : ces soldats prisonniers à jamais des pièges des barbelés, ces chevaux crevés ayant payé le prix du sang.


Sauf que le conflit ne sera presque jamais traité dans l'action, 1917 misant beaucoup plus sur le sentiment d'immersion, transformant le film de guerre classique et sauvage que l'on était en droit d'attendre en suspens glaçant.


Et si le spectateur marche dans chacun des pas du duo, entendrait presque chacune de leurs respirations, il éprouve surtout, par ce procédé virtuose, la même peur et le même sentiment de menace invisible, se matérialisant par instants fugaces et fulgurants, quand un avion s'écrase ou que les balles d'un sniper sifflent.


Alors même que Blake et Schofield évoluent finalement dans un décor de campagne qui semble comme vidé, abandonné, à l'horizon parfois bouché d'un brouillard des cendres de l'humanité.


Et puis tout d'un coup, 1917 prend un chemin de traverse inattendu, le temps d'une nuit baroque dans un champ de ruines, éclairé des lumières d'un outre-monde totalement surréaliste, s'inscrivant déjà dans sa fulgurance plastique comme l'une des plus belles séquences de l'année 2020.


Le rythme, lui, s'accélère, comme s'il animait un rêve dément et torturé du soldat qui le construit. L'ennemi est une ombre qui en sort enfin, qui vient au contact, accompagné de la mort. Juste le temps de leur échapper, de s'enfuir de ces funestes décombres, pour rejoindre d'autres cadavres, gonflés, bouffis, dans les eaux noires d'un curieux Styx charriant des pétales de fleurs d'une blancheur virginale.


Pour mieux, enfin, rejoindre cet autre théâtre de guerre, accueillant le spectateur dans une forêt clairsemée, dans un répit d'une douceur ouatée. En rappelant toute la cruauté et l'absurdité d'un conflit fait d'ordres et de contre-ordres, d'aveuglement, de sacrifices inutiles et d'assauts désespérés.


Le spectateur ressortira de 1917 dans un état second : chancelant mais désabusé, sous l'emprise d'un étrange sortilège. Loin des discours des éternels vieux censeurs qui viendront à coup sûr rappeler que l'oeuvre est, à leurs yeux, nourrie de l'esbroufe et de la superficialité de son artifice, et qu'il est artistiquement douteux, considérant des soi-disant conventions d'un autre âge totalement hors sujet ici, de filmer la guerre en plan séquence.


Au contraire, loin de cette prétendue poudre aux yeux, le film se montre poignant et souvent très juste, faisant partager les doutes et les peurs de ses deux personnages, en prolongeant l'attachement éprouvé au delà de la fin de cette odyssée, de cette fresque peinte avec les couleurs de la viscéralité et de l'humanité.


Behind_the_Mask, qui bat la campagne.

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le 19 janv. 2020

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