28 ans plus tard
6.2
28 ans plus tard

Film de Danny Boyle (2025)

28 Years Later, Danny Boyle, Royaume-Uni, 2025, 115 min

En 2002, avec « 28 Days Later », Danny Boyle et Alex Garland nous offraient une vision du monde des plus pessimistes, plutôt raccord avec un passage tumultueux dans le IIIe millénaire. 23 ans plus tard, les deux auteurs se réunissent, Boyle toujours à la réalisation et Garland au scénario, pour un état des lieux actualisé. Cependant, le métrage ne prend absolument pas la tournure qu’une telle suite pouvait laisser escompter, un peu à l’instar de « 28 Weeks Later » qui, bien que correct, se révélait un brin banal. L’attente était donc là, comme à chaque nouvelle proposition de Danny Boyle et, une fois de plus, le cinéaste britannique surprend.


Comme George A. Romero et ses Zombies, dont il a étudié l’univers en les faisant évoluer dans un monde qui avance en leur présence, le scénario de « 28 Years Later » adopte le parti d’observer une petite communauté recluse, qui survit de la manière qu’elle peut dans un Royaume-Uni en quarantaine. Alors que le reste de la planète poursuit paisiblement le cours de son développement, ici tout s’est arrêté, laissé à l’abandon. Il ne faudra pas très longtemps pour y voir, bien entendu, une allégorie du Brexit à peine dissimulée. Mais attention, ce n’est pas sur le ton de la critique, c’est bien au-delà, c’est abordé avec un ton moqueur, juste, c’est fait c’est fait, c’est ridicule, la vie continue.


Rapidement, le récit prend une tournure totalement inattendue, devenant un parcours initiatique particulièrement riche, et cruel au vu de l’univers dans lequel il se déroule, mais non pas dénué d’espoir. S’il y a bien une chose qui ressort du film, outre toutes les réflexions qu’il permet, c’est l’espoir, celui d’une vie meilleure dans un monde qui, de toute façon, court à sa perte. Cet espoir gravite autour d’un besoin de se recentrer sur ce qui compte, son environnement, ses proches et les vraies gens. Pas ces pantins de pacotilles que l’on voit sur des écrans raconter de la merde à longueur de temps, maintenant nos sociétés déjà bien malades dans un malaise toujours plus palpable (dans le sens mûr de brique hein…).


Sans sombrer dans la leçon de morale ou le didacticiel de comment faire un monde meilleur, « 28 Years Later » ne prend au contraire pas ses spéctateurices par la main, et les plonge dans une nature brutale et sanguinaire. L’une des grandes réussites de « 28 Days Later » était cette brutalité crue, rendue particulièrement rêche par le choix d’une photographie nerveuse et réaliste, permettant d’ancrer le propos du métrage aussi bien dans le fond que dans la forme. Il en va de même ici, avec des audaces visuelles absolument géniales, qui nous immergent totalement dans l’univers mis en scène. Ce n’est donc pas par là que passe le message principal du film.


Le récit prend diverses orientations, que le montage amène d’une manière naturelle et intense. L’histoire centrale semble se dérouler sous nos yeux, mais jamais le monde environnant, qui existe en parallèle, n’est oublié. Appuyant ici et là l’idée que ce que nous voyons et les protagonistes que nous suivons ne sont qu’une infime partie de ce que recèle ce Royaume-Uni coupé du reste de la planète. Il y a un côté vertigineux qui se dégage du métrage et, en même temps, une forme de claustrophobie, qui tiraillent personnages et spéctateurices. Le scénario parvient avec merveille à exprimer cela, par une évolution qui sort un peu des sentiers battus, préférant jouer sur l’inattendu plutôt que sur le convenu, prévenant ainsi de toute redite avec le premier opus, et proposant une toute nouvelle expérience, originale qui plus est.


« 28 Years Later » n’évite pas non plus de s’étendre dans le domaine du conte philosophique, où les images deviennent presque des idéogrammes. Aucun détail n’est laissé au hasard, au point que le film se montre même par moment expérimental, mélangeant l’horreur à la poésie, et le drame à la déréliction du monde. il s’appuie pour cela sur des audaces visuelles comme Danny Boyle a pu nous habituer tout au long de sa carrière. Cela a pour conséquence de provoquer une émotion rare où le sordide se mêle à la beauté, où le morbide en confère au sublime, par une puissance évocatrice peu commune et surtout très efficace. C’est par ce biais que le message d’espoir prend forme et se révèle autre qu’un simple « ça va aller, on a connu pire ! ». Non, c’est la merde, et ça ne va pas s’arranger, donc autant faire avec.


Une semaine avant la sortie de ce film sortait au cinéma « The Life of Chuck » de Mike Flanagan, et l’une des thématiques s’avère en résonance. Le métrage de Flanagan, adapté d’une nouvelle de Stephen King, citait très clairement par ses personnages que, oui, le monde actuel « ça craint ! » et qu’on a rien de mieux à faire que de dire que « ça craint ! ». Oui, ça craint, et visiblement le Cinéma s’en rend bien compte, cette petite lucarne sur notre monde n’est peut-être pas consciente, mais elle peut être pertinente. À partir de là, « 28 Years Later » peut se voir non pas comme un film divinatoire, mais au contraire, le pur réceptacle de notre absurde quotidien.


En fin de compte, le métrage se moque de notre temps. Pour exemple, parce que c’est le plus amusant, il ridiculise très directement des mâles alpha, en proposant deux visions de cette potentielle entité qui fait rêver tant d’hommes en mal de reconnaissance de couilles. L’une est humaine, et s’exprime par le biais d’un homme face à un grand besoin de masculinité, qu’il ne semble pouvoir exprimer que par une ultra-violence grotesque et le sexe. L’autre mâle alpha, c’est une nouvelle forme d’infectée, plus grand, plus puissant, quasiment invulnérable, d’une bestialité animale excessive, mais avec lui aussi un besoin de sexe sauvage, représenté par des attributs outrageusement protubérants. Il est tellement extrême, qu’il tourne au ridicule la notion du mâle alpha telle que définie par nos masculinistes de 2025. Le film est ainsi bourré de petits clin d’œil de ce genre à nos sociétés occidentales, et surtout à ceux et celles qui vivent leurs vies (un peu trop bruyamment) sur Internet, et nous pourrissent au passage le quotidien.


À cela s’ajoute une radicalité gore, qui va très loin pour une production de cette stature, comme si rien ne semblait arrêter les deux têtes pensantes derrière le projet. C’est parfois tellement excessif que ça ravira les amateurices et en dégoûtera celles et ceux qui n’en ont pas l’habitude. Mais ce n’est jamais gratuit, tout fait sens, encore une fois, dans ce film chaque détail à son importance et tout n’est pas forcément aussi limpide que ce qui est montré. Il faut être prêt et accepter d’aller plus loin, pour profiter au maximum de cette expérience, qui, bien entendu, peut tout à fait se déguster comme un simple divertissement. De plus, le métrage est non dénué d’humour, et réserve une séquence absolument jouissive, qui tranche avec le reste, mais qui témoigne du fait qu’avant toute chose, Danny Boyle et Alex Garland s’éclatent, et c’est particulièrement communicatif (tout comme le taquet mis à l’Église, qui fait toujours plaisir, direct et efficace, mais chut !).


« 28 Years Later » est plus que le simple troisième volet d’une désormais trilogie, d’ailleurs, les évènements du deux sont un petit peu passés à la poêle. Il se révèle plus comme une extension du premier, à voir davantage comme une sorte de séquelle spirituelle, plus qu’une suite à proprement parler, reprenant sans réflexion les tropes et autres conventions instaurées. C’est juste que le film gagne du temps au départ, car l’univers est déjà défini, à partir de là, c’est une œuvre qui existe avec son identité propre. Même si Danny Boyle et Alex Garland ont évoqué que c’est peut-être le premier volet d’une nouvelle trilogie, ça ne change rien au fait que l’histoire qui est ici racontée à un début et une fin. À une époque où beaucoup trop de productions issues de franchises sont connectés, et n’existent plus comme objet de cinéma autonome, c’est un point particulièrement agréable.


Si Boyle et Garland ont d’autres idées à narrer dans cet univers, et qu’elles sont tout aussi formidables et magnifiques que celle contée ici, fort d’expérimentations, avec ce petit ton moqueur, ce flegme et ce second degré qui permet de souffler et de voir de l’espoir là où il ne semble plus y en avoir, allons-y. Des films de cette qualité, qui plus est de genre, qui plus est horrifique, s’il pouvait y en avoir tous les mercredis, c’est peut-être dans le Cinéma que nous pourrions replacer notre espoir.


-Stork._

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le 19 juin 2025

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