Musique au piano mélancolique, villes plongées dans la douceur rosée de l'été ou la blancheur de l'hiver, voix off des gens qui ne peuvent communiquer... Shinkai continue sa rêverie poétique sur toutes ces vies qui ne se sont pas dites, avec un film tout aussi fort, simple et beau que ses précédents. Peut-être que 5 cm/s est même un peu plus radical que La tour des nuages ou The Voice of a distant star, dans sa manière de toujours couper, même dans les scènes les plus fortes, l'intérêt du spectateur et de le morceler sur les détails des décors, pour toujours mettre en avant l'ambiance qui habite ses (magnifiques) lieux. Pour tout cela entre autre, il s'agit d'un grand film de sensations, basé sur le ressenti et les émotions des protagonistes plutôt que sur l'histoire en elle-même.
Si l'animation n'a rien d'extraordinaire, Shinkai a un univers visuel très poussé (parfois, c'est vrai, plus proche du fond d'écran léché que de la réelle trouvaille) qui lui est propre, et il ose mettre dans son film par coups de reflets bleutés, orangés ou violacés et des ciels ultra expressifs une dose de cosmologie qu'on lui reconnaît toujours. Ici surtout, le décollage magnifique d'une fusée dans l'immensité du ciel. Cette quête de l’infiniment lointain... c'est peut-être le plus intéressant dans ce film, dommage que le film n'accompagne pas plus cette histoire de recherche (du temps perdu ?) au delà de la Terre. A côté de cela, les personnages sont finalement assez anecdotiques, ils ont des têtes très quelconques, surtout le "héros", éternel solitaire avec son air "mystérieux", et ses cheveux en brosse qui ressemble à tous les autres héros d'anime. C'est le décor, d'une très grande richesse, en constante surpression qui parle plutôt que les dialogues : le titre d'ailleurs fait référence non pas à un souvenir mais à une pure donnée du décor, c'est à dire la vitesse à laquelle tombe une fleur de cerisier. Animer le décor par ce titre, voilà déjà une superbe idée.
Divisé en trois parties, le film ne cesse de raconter à coups de voyages incessants dans le temps l'impossibilité des aveux, avec une tristesse et une nostalgie de l'enfance très marquée. Peut-être est-il trop lisible, trop redondant dans sa forme, mais ce Shinkai finit par émouvoir, plus pour sa matière même, qui effleure le temps et ses épisodes en échos perpétuels (structure très littéraire), qui effleure l'âme et sa fragilité (le côté naïf du film qui n'est pas désagréable).
La musique, toujours présente, évite souvent (mais pas toujours) la mièvrerie. Si le thème principal est réussi, sa répétition peut aussi lasser. Une fois rentré dans l'univers de l'auteur, très "à fleur de peau", on finit par s'habituer à la grâce qu'il essaie de mettre dans chaque instant, et aussi à la peur qu'il semble avoir, toujours, du monde du travail "classique" qui éloigne les gens les uns des autres, ainsi que du changement. Peut-être que cette peur est un peu trop appuyée, surtout lorsque le film part en clip pour une dernière note mémorielle où tous les instants repassent en boucle comme autant de moments inoubliables. Le seul intérêt de cette fin insistante est que tous ses moments ne finissent plus que par en être un : celui du cerisier... La madeleine de Proust version japonaise par excellence, là où toutes les amours et toutes les passions sont infusées au travers des jours, dans les pétales qui tombent, tombent et ne cesseront jamais de tomber.