Johnson déconstruit brillamment le classique whodunit dans une intrigue (un peu trop) retorse.

On connait tous ce genre de films où l’intérêt principal réside dans le fait de découvrir qui est le tueur et quel a été son mode opératoire. C’est un sous-genre du septième art en rapport avec le film policier qui a eu ses heures de gloire notamment grâce aux adaptations des romans d’Agatha Christie, qui est devenue et reste la reine de ce genre, surtout lorsque l’action se passe en huis-clos dans un train, un bateau ou comme ici majoritairement dans un manoir. Kenneth Branagh a d’ailleurs ressuscité ce type de whodunit qui s’apparente à un Cluedo sur grand écran l’an passé avec son remake à succès mais quelque peu sage et poussiéreux du « Crime de l’Orient-Express », de la romancière justement. On préfèrera donc clairement « A couteaux tirés » et son énergie juvénile où le réalisateur du dernier « Star Wars », Rian Johnson qu’on n’attendait pas là, se propose de prendre le genre à contre-pied de multiples manières. Mais, surtout, en donnant le coupable au bout d’un tiers de film et en bombardant le scénario qu’il a écrit lui-même de nouveautés pendant plus de deux heures, il sort des ornières attendues de ce type d’œuvres et nous surprend. Il livre une réactualisation tout à fait réussie et ludique dotée d’un second degré bienvenu et d’une vision sarcastique qui dynamite un sous-genre un peu immobile et devenu vain. Par là même, « A couteaux tirés » se déguste véritablement comme un mille-feuille narratif peut-être un peu trop bourratif par moments mais dont on se régale de chaque bouchée avec le plus grand des plaisirs. Un long-métrage qui sous des airs surannés s’avère on ne peut plus contemporain sur le fond et sur la forme. Une œuvre qui, si elle ne tutoie peut-être pas les sommets du genre, pourrait se revoir une seconde fois pour en saisir toutes les subtilités du scénario, très retors.

On aime la manière dont sont présentés les personnages, classique mais efficace, ainsi que la réalisation de Johnson qui s’avère colorée et moderne en sachant rendre les lieux de l’intrigue vivants et évitant ainsi tout effet statique. Le casting est en tous points impeccable et homogène, tous ces acteurs se marient à merveille dans ce décor, ces costumes et cette intrigue baroque à souhait. De la même manière, les flashbacks et chaque élément de l’intrigue sont amenés de manière adéquates grâce à un montage tout à fait en phase qui ne nous laisse que peu de répit. On pourra certainement tiquer sur les aléas d’une intrigue un brin tarabiscotée, mais tout va tellement vite que l’on n’a pas le temps de vraiment s’insurger envers des rebondissements plaisants mais pas parfois trop savants. Le film est un peu long mais on ne s’en offusquera pas tant ce jeu de dupes est maîtrisé avec un savoir-faire de connaisseur. La lutte des classes est admirablement mise en exergue et « A couteaux tirés » envoie valdinguer une aristocratie exsangue avec un bonheur non feint. On sent clairement des piques lancées envers une Amérique recroquevillée sur elle-même, une Amérique que Trump a mis sur une sellette difficilement défendable. C’est fait avec une finesse admirable et sans tirer à boulets rouges qui force le respect. Voici donc un long-métrage qui prend pour base la découverte d’un meurtrier et de son mobile mais qui tente à chaque instant d’aller plus loin, de sa mise en scène hautement inventive à ses retournements de situation généreux envers le spectateur. Un véritable petit plaisir de fin d’année, pas révolutionnaire mais hautement recommandable.

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