On a vu "A Couteaux tirés" hier, en famille, comme un film de lendemain de noël, comme on relirait "Le Meurtre de Roger Ackroyd" ou un Fleuve noir (ça m'arrive régulièrement), comme on s'oublierait sous le plaid avec un vieux Miss Marple et une tranche de pudding rhum-raisins, comme mus par un penchant régressivement coupable au désuet.
Mais la salle était encore comble et on s'est beaucoup réjouis, avec le rire sonore et communicatif de Juliette dans l'oreille gauche.
Rian Johnson, qui a entre autres commis le SWVIII, nous propose de revisiter la recette traditionnelle du film à énigme, avec son vieux manoir esseulé, sa riche famille dysfonctionnelle et cupide, sa victime aussi respectable que tyrannique, son détective excentrique et brillant, sa gouvernante, sa nurse, ses gros chiens, son huis clos à chausse-trapes, son casting de luxe et Don Johnson sur le cachet de cire.
Toutefois, dans ce "Cluedo au pays de Trump" (comme on a pu lire), le maître du jeu nous tire sans arrêt le tapis de sous les pieds, nous laissant juste au bord du plaisir d'élucider le mystère, et creuse un trou perfide dans le trou du "whodonut" (inside joke et scène hilarante). On perd en raffinement british, parce que la vérité surgit par jets de vomissure, mais on se laisse twister sans broncher.
Daniel Craig en Benoît Blanc (français ? belge ?), un peu pataud, ridiculement méthodique et à l'accent de plouc, s'en donne visiblement une belle tranche, comme tous les autres d'ailleurs. Des scènes de famille comme un jeu de quilles.
Très vite, les codes sont bousculés et vous voilà au milieu d'un épisode de Columbo, quand on vous balance, raide, l'identité du meurtrier, alors que vous en étiez encore aux hypothèses et recoupements. Mais on vous remet finalement sur vos pieds avec une résolution hautement cérébrale et poirotienne. Un coup de poker qui confond le coupable derrière le coupable.
J'ai adoré, dans le premier quart d'heure, le montage facétieux des interrogatoires, autre passage obligé des débuts d'enquête, et trouvé aussi sobre qu'efficace, la scène finale, où l'uruguayenne (ou la brésilienne ? ou la paraguayenne ? ou l'équatorienne ?) contemple du haut du balcon du manoir, la riche famille américaine défaite, réunie sur le gazon en une figuration à la "Dallas, ton univers impitoyable". Bon film de vacances !