Run for Cover pose d’entrée de jeu la question du rachat par la rencontre d’un père endeuillé et d’un fils de substitution qu’il confond d’abord avec un brigand sur le point de lui tirer dans le dos ; cette confusion n’aura de cesse de se voir dérivée au fil des retournements dramatiques, plaçant le père dans une position instable qui est celle d’un échec à convertir le mal d’autrui en bien, ne parvenant à terme qu’à renaître à soi. Le long métrage de Nicholas Ray part d’une bordure de la rivière pour s’achever sur une autre, et suit pendant une heure et demie ses détours sinueux, ses confluents qui menacent l’identité de vaciller, jusqu’à retrouver son foyer et son épouse. Davey Bishop apparaît d’ailleurs au carrefour de deux avatars : celui du fils emporté, celui du père qui partage nombre de points communs – le goût du voyage, le courage, la blessure d’un membre. Les héros, chez Ray, sont constamment boiteux ou meurtris, et la blessure rassemble le shérif et son adjoint comme une médaille tient ensemble deux versants négatifs destinés à se compléter.


Comme dans Johnny Guitar, voilà donc un western intérieur dans lequel les conflits semblent exprimer le chaos d’une conscience qui se débat avec elle-même ; néanmoins, là où le précédent long métrage de Nicholas Ray articulait les paysages forestiers avec le huis clos de la maison de jeu, nous sommes davantage ici dans un voyage extérieur : la tempête de sable, qui conduisait les personnages de Johnny Guitar à s’abriter et mettait en place le début de l’intrigue, est traversée par Matthew et Davey, seuls contre un chaos qui risque de les emporter tous les deux. Contre ce danger de l’espace extérieur, la tranquillité de l’espace intérieur transparaît par le biais de la maison des Swenson, havre de paix où il fait bon reprendre des forces, jouer aux échecs et fonder une famille ; havre de paix mis en péril par le viol d’une église dans laquelle des bandits pénètrent les armes à la main.


C’est dire que notre héros ne saurait se détourner du parcours initiatique qui doit le conduire à se défaire de ses démons et à revenir à la vie, à se racheter, à laver une mauvaise réputation dont il est la victime et qui doit passer, on le comprend, par le sacrifice de son enfant, une fois encore. Le personnage de Davey rejoue le dilemme de Judas qui, par trois fois, a renié le Christ ; constamment sur le fil du rasoir, puisqu’il souhaite tirer dans le dos de son ami pour partir avec l’argent, puisqu’il complote avec l’ennemi par appât du gain, puisqu’il abandonne son ami dans la rivière, il épuise la compassion et le pardon de Matthew, apôtre tout autant que juge et bourreau d’un mal qui le rongeait intérieurement.


Grandement mésestimé, Run for Cover s’affirme tel le conservatoire des thématiques qui définissent le cinéma de Nicholas Ray, et a l’audace d’adopter un point de vue inverse sur la relation fils-père en épousant la focalisation du père engagé sur le chemin de la rédemption. Un conservatoire qui, tout en respectant les codes du genre investi, atteste une liberté et une fluidité remarquables, à l’instar de cette déclaration d’amour à l’envers, anticipée par la femme alors que l’homme balbutie sous le coup de l’émotion, faite dans le couloir d’une prison ! Un très grand western, intelligent et émouvant, que portent d’excellents acteurs et une excellente actrice : Viveca Lindfors.

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le 11 nov. 2020

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