À l’instar de We On the Night, Ad Astra en dit long sur les prédispositions contemplatives de James Gray : à ceci près que si le périple spatial prédomine en tant que toile de fond, il serait tentant de l’assimiler au support d’une trame filiale, en réalité, centrale. Chose nous renvoyant derechef au film susnommé, où la relation liant l’enfant terrible Bobby Green à son inflexible paternel tenait de la pierre angulaire... qu’il s’agisse d’une évidente empreinte « polar » ou « SF », il serait donc malvenu de s’en tenir à une lecture unidimensionnelle.


Mais trêve de blabla, Ad Astra fait en ce sens montre d’une savante richesse, aussi bien en termes de thématiques que formellement parlant : on frise sur ce point la claque, la « chaude » austérité visuelle de Gray se traduisant par une mise en scène au cordeau, une photographie absolument sublime (Hoyte van Hoytema, forcément) et une pléiade de plans choyant la rétine. Au gré d’une rythmique sans hâte aucune, l’ensemble rappelle finalement d’autres références du genre, quand bien même les comparaisons n’auraient pas vraiment lieu d’être : 2001 pour sa minutie maladive, Interstellar et son envergure sensée... mais aussi un certain Blade Runner 2049 en ce qui concerne certains jeux de lumières remarquables (notamment sur Mars).


Un superbe rendu tout en retenue donc, où l’indécrottable Brad Pitt navigue de bout en bout avec une aisance folle : une prestation d’autant plus royale qu’indispensable à la réussite de Ad Astra, celui-ci capitalisant à n’en plus finir sur le jeu émouvant de sa tête d’affiche. Ne pas adhérer au portrait tortueux de Roy McBride était toutefois possible, son mutisme et sa rigueur dépeignant une individualité aussi imparfaite qu’intrigante : mais dans le fin creuset de la paire Gray/Gross, la sauce prend d’une bien belle manière, la quête sans véritables repères du brillant astronaute nappant cette froide infinie nous surplombant de réflexions résolument humaines.


Le film fait pourtant plus qu’effleurer la question de la vie extraterrestre, insoluble et passionnante bien que sacrément périlleuse pour une intrigue aussi « sérieuse » : au risque de se répéter, cela rejoint l’idée énoncée plus haut, selon laquelle le véritable propos de Ad Astra résiderait davantage en l’humain. D’ailleurs, « notre » obsession chronique pour cet « ailleurs » se voit bien cristallisée en la personne de Clifford, un prisme humain donc servant de point de bascule final éloquent en la matière : une divergence d’approches menant à une impasse amère, aussi bien pour le fils (retrouvailles sans lendemain) que pour le père (obstination en dépit de l’échec acté par le fiston au détour d’une réplique mémorable).


Reste que pour y parvenir, le long-métrage se sera malheureusement autorisé quelques écarts : le voyage de Roy est en ce sens balisé de péripéties pas forcément indispensables au schmilblick, comme si notre duo de scénaristes s’était mis en tête de couvrir tous les aléas (relativement) plausibles. Pas de quoi hurler au scandale au demeurant, ces séquences revêtant dans l’ensemble une certaine utilité (la « chute » initiale rend bien compte de ce qu’est Roy, l’affrontement sur la Lune est certes facile mais rondement mené etc.)... à peu de chose près (le laboratoire spatial), surtout lorsque l’invraisemblable vient titiller notre suspension consentie de l’incrédulité (pour s’en sortir, Roy aura fait encore plus fort que Mark, chapeau bas).


Bref, le fin mot de l’histoire dans tout ça ? Eh bien Ad Astra aura beau se faire affubler de sobriquets commodes (space opera, SF etc.), son propos est indéniablement ailleurs : car si le gigantisme de l’espace, Neptune et compagnie marque naturellement la rétine, l’esprit en retiendra plutôt une remuante quête intimiste portée par un Brad Pitt au sommet.

NiERONiMO
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le 23 oct. 2019

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