Adieu au Langage n’est pas un film facile et nécessite un temps d’adaptation. Il est loin de tous les schémas de narration classiques et c’est en ça qu’il déconcerte, en plus de son montage redonnant tout son sens au mot rupture et de sa mise en scène semblant très amateur. Ce qui dérange donc avec Adieu au Langage c’est sa forme dont tout le monde n’arrête pas de parler car elle n’est pas commune, mais qu’en est-il du fond ? Eh bien une fois n’est pas coutume, il faut s’intéresser au fond pour mieux comprendre la forme, et c’est à la limite de l’explicite car toutes les clés de compréhension sont données dans le titre : Adieu au Langage. L’histoire d’amour entre les deux personnes qu’on voit n’est donc pas importante, ce qui compte c’est à quoi elles servent, et dans ce cas c’est pour montrer la décrépitude de l’être humain qui, n’arrivant plus à communiquer, doit se taire, et donc mourir.
Pourtant le début du film est assez intelligible, certes ça dérange, mais on comprend ce qui se passe durant les scènes qu’on voit : une histoire d’amour s’installe, des hommes meurent, des enfants jouent, et un chien est là. En quelques sortes le décor est déjà planté : le début et la fin d’une vie ou d’un cycle, marqué par une incompréhension des humains entre eux. Les bébés jouent, des hommes parlent allemand, d’autres français… Et nous spectateur, on se débrouille du mieux qu’on peut face à cet amas d’informations. Mais au fur et à mesure que le film avance on est de plus en plus perdu, on passe d’images assez nettes à d’autres forcées au numérique, d’autres en betamax (format de cassette), d’autres saturées… Godard essaie constamment de nous parler en utilisant tous les moyens de communication possibles, tout ce qui est en possession de l’être humain pour parler cinématographiquement. La musique va se couper brusquement, des images vont passer du noir et blanc à la couleur… Ce film est un monstre de tentatives visuelles, combinées par de l’essai 3D (dont je n’ai malheureusement pas pu profiter, ma télé ne pouvant pas en lire) et donc notre incompréhension renforce son propos : à quoi bon parler ? Nous sommes revenus presque à un état primitif (d’où les personnes se déplaçant souvent nues) où ce qu’on dit est (littéralement) de la merde, on ne prend plus le temps de réfléchir, on ne prend plus le temps de communiquer, on ne pense qu’à soi. Le langage sert à se faire comprendre, et quand ça ne marche plus alors c’est de notre faute, et en ce sens le chien est primordial car c’est "le seul animal aimant plus son maître que lui-même".
Oui, ce film de Jean-Luc Godard est pessimiste pour l’être humain, mais depuis quand n’avions-nous pas vu un film aussi bien utiliser le matériau cinématographique pour faire passer un message ? Monstrueux, ce film est monstrueux tant il est grandiose (la comparaison avec Frankenstein dans ce long-métrage est d’ailleurs très intelligente) mais aussi car il nous remet en question de manière violente et sèche. Pourquoi nous n’arrivons plus à parler (le prolongement de cette question étant "Pourquoi n’arrivons-nous plus à créer ?" et elle est posée par le très sombre Holy Motors 1 de Léos Carax) ? On ne le sait pas, car nous-mêmes nous n’arrivons pas à nous poser cette question, il en reste que c’est par un crescendo ne s’arrêtant jamais que ce film se termine sur des cris de bébés et des aboiements. On ne comprend pas ce qu’ils disent ? Tant pis alors, l’Homme est mort ce soir.