Quand un frère et une soeur rencontrent un Américain de leur âge à la Cinémathèque, ils décident de passer leurs vacances avec lui. Trois jeunes gens qui se retrouvent livrés à eux-même et vont faire leurs expériences sexuelles (suite à des défis cinglants et provocateurs au début) et vont passer presque à côté des événements de la rue débutés en Mai 1968. Loin des pavés, leur plage avant le retour à la réalité. L'intérêt est le partage des rôles entre ces trois là. Matthew est un jeune idéaliste qui voulait croire à l'amitié avec Théo et Isabelle mais constate au fur et à mesure que leurs règles du jeu sont pernicieuses. La faute à ce frère jumeau qui a entraîné sa soeur dans son délire, ce qu'on ne manquera pas de remarquer lors de scènes éloquentes et où Isabelle arrivera aux pires extrémités ( scène de la chambre et de la cuisine sur la fin). Pourtant, la révolution intérieure de Théo,Matthew et Isabelle est en phase avec les mouvements de la rue. Elle en est même une métaphore idéale.
Bien après le dernier tango à Paris, Bernardo Bertollucci s'interroge donc sur les hommes et les femmes qui n'ont plus de sens commun quand leurs corps les dominent. Les scènes de nus d'Innocents (Dreamers en VO, ce qui reflète plus le penchant des trois jeunes vers le cinéma dont ils rejouent les scènes) sont pour la plupart des phases de transgression voulues mais que les protagonistes analysent après coup. Un entre-deux qu'ils n'ont pas tous la force de gérer émotionnellement si ce n'est Théo qui fait expérimenter en voyant ce que cela donne. Sa tentative de nourrir sa soeur et son copain américain d'ordures de l'immeuble est en cela un formidable exemple. Mais n'oublions pas la cuisine ratée volontairement par Isabelle.
Innocents, de près ou de loin, raconte la jeunesse de Bertolluci, né dans les années 40. Son film marque son amour du cinéma à travers les films évoqués,passion partagée de ses personnages. Néanmoins, le personnage de Matthew, même s'il a le privilège d'être le narrateur de cette histoire, est face à deux "monstres" qui s'accomodent de leur bourgeoisie ( le chèque des parents,la culture,les beaux habits) pour jouer aux rebelles qu'ils rêvent d'être au jour le jour. Signe que Bertolluci dépeint une jeunesse qui voulait changer entre idéaux et conforts et attendait son heure et que les manifestations ont poussé un peu plus loin. Finalement, un vrai manifeste pour l'utilité de Mai 68 que le spectateur doit décrypter dans les plans osés, les postures de Théo et Isabelle avec un Matthew qui apprend le sens de la rébellion,concept totalement étranger à son pays avant que le Vietnam ne rattrappe les consciences. Au bout du compte,Innocents reste un film audacieux ,défendu par un casting franco-américain à la hauteur.Sa seule petite faiblesse restant une lisibilité complexe tant le cinéaste italien a joué avec les postures de son trio avant de statuer sur leurs positions face à leurs vécus ensemble et face à la Grande Histoire.

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le 25 août 2016

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