1920, dans les ruines fumantes de Verdun, deux femmes cherchent leur compagnon, disparu en 1918. Ce qu'elles ignorent c'est que c'est le même homme dont il s'agit : l'époux de l'une, l'amant de l'autre.


Seul le commandant Delaplane peut les aider dans leur quête impossible. Il est chargé d'enquêter sur les disparus et tient une comptabilité terrible, crue, éprouvante : 300 000 disparus, un défilé macabre, dit-il, "qui durerait 11 jours et 11 nuits" s'il descendait les Champs Élysées.


L'attente, l'impossible espoir de donner un nom sur un cadavre ou de retrouver le disparu dans un hôpital, est au coeur du film, de cette drôle de guerre, une guerre larvée, intérieure, qui n'en finit pas, où l'on attend et où l'on tente de vivre. L'occasion de rencontrer des soldats un peu patauds, de jeunes ingénus, un artiste grivois, des ivrognes patentés ; une galerie de personnages un peu truculents, aux gueules pas possibles ou aux allures d'une peinture de Courbet, et qui sont de pauvres hères au milieu d'un paysage dévasté. L'occasion pour le réalisateur d'explorer des aspects de la guerre méconnus : le commerce des monuments aux morts (exploré dans Au revoir là-haut), des détectives pour les disparus (Un long dimanche de fiançailles), du marché noir, le travail des femmes, l'enrichissement des industriels... La guerre continue par les privations, la présence des troupes encore mobilisées, les cimetières et les fosses qui empestent la mort, qui se rappelle sans cesse à l'écran. Autre élément abordé : le choix du soldat inconnu, objet de tractations absurdes où chacun veut prendre sa part de gloire. Chacun se bat pour des subventions, un monument aux morts, une pension de guerre : la guerre, la mort des autres, fait vivre. Voilà l'absurde leçon du film.


Bertrand Tavernier n'hésite pas à emprunter la voie de l'humour noir et du potache, qui vient détonner, littéralement, au milieu de ces terres froides, désolées et endeuillées. Le titre du film vient de là : la vie et rien d'autre. Au final, aucune des deux femmes ne saura le sort de l'être aimé. Delaplane comprend qu'elles recherchent le même homme, mais ne leur dit pas, par pudeur, par respect, les exhortant à vivre, à oublier, de manière cynique et un peu brutale : c'est un soldat, il n'est pas doué pour arrondir les angles. C'est cette quête, vaine, absurde, qui leur apportera ce dont elles avaient besoin : l'oubli. Au début elles ne le comprennent pas. La riche Irène arpente avec son chauffeur les routes des environs, exige des réponses, insulte. Delaplane lui explique qu'il y a 300 000 disparus, son mari n'en est qu'un parmi des centaines de milliers. Elle finira par l'admettre et voir chez ce commandant bourru, mais à la moralité sans faille, la force du courage.


Ainsi finit par se former un couple improbable entre Delaplane (Philippe Noiret, classique) et Irène (Sabine Azéma), un couple un peu peau de vache et qui dans cette quête morbide, où des odeurs méphitiques rodent, va découvrir peut-être la voie vers la rémission. L'impensable se produit, là où tout semblait perdu, qui plus est à Verdun, le lieu le plus sanglant de notre histoire.


Tavernier parvient à brasser dans ce film sur l'attente où les protagonistes ne cessent de se croiser dans une sorte de danse macabre, tous les thèmes de l'après-guerre avec une rare subtilité. Il distille aussi, au travers d'excellents acteurs, un message d'espoir, presque incongru tant le sujet du film est lourd et pesant. Les amours naissantes, pour les trois protagonistes, sont un rayon de soleil, dans un paysage embué, sordide, morbide. La nature décharnée, l'hiver, la fin de l'automne qui hante les ruines de Verdun, dans une photographie superbe, est embellie par l'extraordinaire pugnacité des hommes.


Comme l'a dit Paul Valéry : "il faut tenter de vivre".

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le 28 déc. 2019

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Tom_Ab

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