(SPOILERS)


Je vais pas jouer les nostalgiques ou le fan authentique : ce film-là, je l'ai découvert tard, vers mes 18 ans. Pourtant j'ai l'impression qu'il a toujours été là, dans un coin de ma tête, et plus les années passent plus il me laisse l'impression d'un interminable numéro de funambule. Nul besoin d'y réfléchir pour y prendre un pied monstre, inutile de le décrypter pour le trouver génial : ce film-là, il se met en quatre pour vous clouer au sol. Ca tombe bien, toutes les générations en ont fait leur film de chevet, et ce sans qu'il soit besoin de passer le flambeau avec de grands discours.


Pourtant, Le Bon, la Brute et le Truand ne se laisse pas faire. Voyez-le pour la première fois, vous constaterez qu'il ne joue pas cartes sur table. La surprise et le suspense, il en fait ses armes principales. Voyez-le pour la seconde fois, puis la troisième, la quatrième, la trentième et constatez que vous restez pendus aux lèvres de ses personnages comme au premier jour.


Un voyage imprévisible que l'on continue de regarder en boucle même quand on le connaît par coeur. Juste pour voir s'il résiste au poids des ans. Ca ne loupe jamais, le salopard est même plus jeune que nous. Il nous toise du haut de sa modernité mais dès les première secondes, il nous tend la main comme à un vieil ami. Notre petite vie a changé, nous aussi. Pas lui, toujours aussi cintré, virtuose et capable de vous rendre au centuple l'affection que vous lui portez.
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Le Bon, la Brute et le Truand, avec sa structure faite de grandes parenthèses et d'une poignée de carrefours narratifs, n'est pas facile à cerner. Mais aucune frime inutile là-dedans, c'est de matière vivante dont Sergio Leone nourrit sa fresque. De gueules burinées rongées par le soleil, de regards perçants qui en disent aussi long qu'un appel au combat, de rires et de larmes filmés à même l'épiderme de protagonistes devenus légendaires. Leur trio est devenu aussi célèbre que le film lui-même, marque d'une œuvre assez versatile pour proposer trois figures iconiques au sein d'une œuvre pourtant iconoclaste, Le Bon, La brute et le truand ayant redéfini l'imaginaire collectif vis-à-vis du western. Peut-être le plus bel accomplissement de ce récit uchronique sous forme de traversée du désert.


Réputé pour ses sursauts humoristiques, le chef-d'oeuvre de Leone est pourtant d'une drôlerie quasi-constante. Un humour à flux tendu dont l'intensité varie selon le bon vouloir de son chef d'orchestre : la fanfare qui couvre le passage à tabac de Tuco par une brute obèse, la mort de Sentenza immédiatement suivie par un enterrement improvisé, l'image d'un Tuco le cul levé face au champ de bataille alors que Yankees et sudistes se font la guerre autour d'un pont éventré...


Face à un amour de la truculence aussi consommé, les passages qui versent dans le premier degré le plus pur sont d'autant plus poignants. Parmi eux, la séquence des retrouvailles entre Tuco et son frère rentré dans les ordres, les deux hommes ne s'étant pas revus depuis neuf ans. Un dialogue chargé de remords que même le regard de Clint Eastwood, observant la scène dans la pénombre, ne parviendra pas à alléger ; Blondin ne moquera d'ailleurs que très brièvement son comparse et ennemi juré à ce sujet. Une autre scène montrera le même Blondin apporter un peu de réconfort à un jeune soldat mourant, l'occasion d'un échange de regards et de gestes d'une noblesse renversante.


Sergio Leone, ou une compréhension du langage cinématographique si complète qu'elle ne cesse de transcender un script déjà très riche. Ce n'est pas un hasard si les images de ses films ont marqué les esprits autant que la répartie de ses protagonistes hauts en couleurs, le cinéaste sachant exactement quand les laisser s'exprimer...et quand les faire taire. Voir ce personnage de capitaine yankee porté sur la bouteille, lancé dans une logorrhée qui occupe presque tout son temps de présence à l'écran. Une idée dont les limites explosent un peu plus tard, au moment précis où le Leone décide d'adopter le parti-pris inverse : le fameux mexican stand off final, climax laconique en diable réduit à une arène circulaire et à une armée de tombes.


Un dénouement faussement épuré mais hautement expressionniste grâce aux orientations plastiques de Leone, chorégraphie complexe de gros plans qui traduisent sans mot dire toute la tension qui anime ce passage mémorable. Si Stanley Kubrick inventa avec Shining le film d'horreur sans obscurité, Leone illustra un expressionnisme où la lumière zénithale est reine. Le point d'orgue d'un film-fleuve à la richesse inépuisable.


Lee Van Cleef.
Clint Eastwood.
Eli Wallach.
La cupidité.
Le désert.
L'âme humaine.
Et un cinéaste. Avec, on ose l'imaginer, un sourire au coin des lèvres.


Plus le temps passe, plus Leone laisse sur le carreau jusqu'à ses plus fervents admirateurs, bien en peine de trouver les mots justes pour faire écho à ce monument de culture populaire, et de culture tout court. Il n'y a pas plus bateau que de parler de ce film-là comme d'un chef-d'oeuvre impérissable. C'est pourtant vrai, à 200 %. Le Bon, la Brute et le Truand, il pourrait remplir à lui seul toute une vie de cinéphile. A coup sûr, il nous enterrera tous. Et c'est sans doute pour ça qu'on l'aime autant.

Fritz_the_Cat
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le 17 janv. 2014

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Fritz_the_Cat

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