S’il est relativement discret, Paul Thomas Anderson demeure l’un des plus grands noms du cinéma américain actuel : un jugement s’étant imposé à moi en seulement deux titres, à savoir ses immenses There Will Be Blood (l’estomaquante découverte) et Boogie Nights (la grisante confirmation). Du temps de la sortie de ce dernier, son second long-métrage, il entérina sa réputation auprès d’une industrie pourtant si prompte à brider la personnalité de ses jeunes poulains : que nenni le concernant, celui-ci persistant avec Magnolia, une large fresque de plus de trois heures, sans se départager de sa signature.
Une œuvre des plus intrigantes, mais dont le visionnage ne suscite pas la même approbation : au contraire, ce film choral semble moins bien maîtrisé que les susnommés, la faute à sa pluralité de portraits inégaux, une durée pas toujours justifiée et les grands airs qu’il tend à se donner. Néanmoins, une chose curieuse émerge : il affine et affermi le statut de son diable de cinéaste, qui en dépit d’un trop-plein palpable confirme en tous points l’intelligence de son cinéma, qu’il s’agisse de sa plume assortie d’une myriade de thématiques denses ou la créativité formalisant ses nombreuses idées.
Souvent comparé à Scorcese pour (entre autres choses) son goût du plan-séquence, Magnolia prouve une fois encore qu’il ne s’agit pas d’un simple artifice, celui-ci en usant avec parcimonie pour ancrer toujours plus, ci et là, la réalité de son récit. Perfectionniste notoire, Anderson ne s’en tient assurément pas qu’à ce procédé en multipliant les plans, mouvements de caméra et effets de montage (gérés par son acolyte de toujours Dylan Tichenor) de bon aloi : une maîtrise telle qu’elle finit par déteindre sur la trame-même, soit l’assurance de nous tenir en haleine de bout en bout malgré d’évidents écueils.
En fait, quitte à évacuer tout de suite ce qui cloche dans Magnolia, abordons donc le paradoxe de son sujet et son traitement : visant originellement à tisser une histoire « intimiste, modeste », Anderson a de fil en aiguille tant étoffé l’envergure, les intrications et la symbolique de son ennéade que le tableau final est tout autre. Certes, sa dimension humaine constitue bien le cœur de son propos, mais l’ensemble paraît parfois boursouflé, l’alchimie étant de surcroît difficile à pleinement atteindre quand tant de protagonistes agissent et subissent de concert.
De façon plus patente encore, ses indices numérologiques et bibliques (guère décelables au premier abord) annonçant son final « pluvieux » forment un prisme confinant à la circonspection, accentuant par voie de conséquence le ton pompeux qu’emprunte parfois Magnolia. Qui plus est introduit par des anecdotes « historiques » soulignant l’influence duale, comme contraire, de la coïncidence et du destin, puis s’ensuivant d’une présentation virevoltante, pour ne pas dire sans harnais, de son hétéroclite galerie, le film a cette tendance à nous perdre de temps à autre : un état de fait rattrapé par son formalisme exemplaire et, assurément, l’apport aux petits oignons d’une distribution royale.
À même de compenser en toute ou partie son étirement, ses quelques trous d’air et un sous-texte touffu, le long-métrage parvient donc à ferrer notre attention, voire notre sympathie (et empathie) en ce qui concerne le devenir de ses pauvres hères : recueillant et mettant en scène un large panel de tourments, états d’âme et autres joyeusetés affectant nos contemporains, Magnolia se pose comme le manifeste d’une époque généreuse en la matière. En dresser un résumé exhaustif ne serait d’ailleurs guère aisé, les multiples ramifications de son récit attestant d’une écriture des plus denses.
À mi-chemin entre la déception (contextuelle) et la fascination (latente), le troisième long-métrage de Paul Thomas Anderson demeure une expérience valant le coup d’œil : douée d’une montée en régime palpable (comportant un pic mémorable), gageons que son ambition sous-jacente l’aura peut-être desservi au bout du compte.