Les amours qui n'en finissent pas de mourir

Tout le monde rêve que le divorce soit doux, mais jamais il ne peut l'être. La rupture commence avec tristesse, quelques larmes, une nuit sur le canapé, puis tout se gâte. Lorsque le divorce est annoncé, c'est au fond comme pour le mariage, cela prend une dimension sociale tangible qui invariablement ne manquera pas de transformer la vie des protagonistes à jamais. Sauf qu'il ne s'agit pas de gagner mais de perdre, à commencer le fils que l'on a eu, et les souvenirs.


Le titre du film résume sa thèse : le divorce c'est la continuation du mariage par d'autres moyens, sans amour, du moins sans désir. On ne peut pas tout perdre du jour au lendemain ; il faudra concéder à l'autre, céder du terrain, négocier, se reconstruire et tenter d'oublier l'inoubliable. Et l'autre qu'on a aimé ne disparaitra pas. Il faudra composer avec lui.


Le divorce n'est pas vraiment brutal, c'est plutôt un lent poison. Les avocats, aux USA du moins, en rajoutent, jusqu'a conduire les couples à se déchirer, réclamant, exigeant des actes qui conduisent à la guerre. Les proches aussi insistent, pour que la rupture soit consommée, dans toute sa radicalité. Le divorce a ses codes comme le mariage : une mère doit se comporter de telle manière, un père de telle autre ; il y a des attendus. Les juges, les avocats, les amis, les proches, tous ont une opinion sur le sujet et cela finit, indépendamment de votre intimité de couple, par vous détruire. Cette intimité est d'ailleurs disséquée, analysée, déshumanisée. Nancy et Charlie pensaient que ça se passerait à l'amiable, simplement, mais quand la société s'en mêle, c'est une épreuve épouvantable qui vous broie. Le divorce s'éternise, on vous juge, on vous inspecte. Il faut négocier le moindre kopeck, des impossibles gardes, tout concilier. Et puis il y a l'enfant, qui, lui aussi vous juge et distribue les points avec une sincérité innocente. Il faut souffrir de la comparaison : la mère doit se défendre, quitte à faire endosser à son ex époux le rôle du méchant, le père doit tenter de vaincre le cliché du père absent et négligeant parce que la société a édicté que c'était une norme.


Certaines scènes du film sont rudes : la première, entre les deux avocats qui lancent des saletés sur le parti adverse, se faisant en fait les portes paroles des pires pensées de leurs clients. Une autre montre une dispute terrible entre Nancy et Charlie : ils s'insultent, vont aussi loin que la violence leur permet, avant de s'effondrer en larmes. Ce n'est pas qu'ils ne s'aiment plus, parfois ils se regardent, parfois ils reprennent des habitudes complices d'années de couples, mais voilà ils ont pris des voies différentes. L'autre scène terrible est lorsqu'une inspectrice vient voir le comportement des parents chez eux, leur comportement avec les enfants, comme si on inspectait un commerce ou un professeur, comme s'il y avait une bonne manière d'être un parent.


Les avocats veulent toujours obtenir plus. Au final, l'avocate de Nancy voit son succès comme une victoire, comme s'il s'agissait d'une bataille, d'une guerre. Elle obtient 55% de garde pour la mère, par principe, pour rappeler aux hommes qu'en matière de garde d'enfants, les femmes dominent.


Le divorce est un sacrifice énorme : un gouffre financier, qui éprouve les coeurs, un deuil en somme, un enterrement mais qui n'en finit pas. On vous accuse, c'est de votre faute, quel père indigne, quelle mère ingrate vous faites, quels époux minables. La société vous fait sentir qu'il va vous en coûter de divorcer, que c'est presque un mal. Il y a une dimension morale, un poids considérable sur vos épaules. Alors que le divorce c'est en somme l'aboutissement de l'amour, d'une aventure, la plus poussée. C'est le point d'acmé du mariage, son état le plus violent, sa fin, son baroud d'honneur. On voudrait vous faire croire que vous êtes responsable mais personne n'est coupable. Et c'est cette culpabilité d'un couple qui se disloque qu'il vous faut surmonter. Il faut songer que même dans cette horreur, même dans la haine, même dans les vicissitudes, l'amour demeure : parce qu'il y a quelque chose qui a été construit et qu'il faut, tant bien que mal, préserver. Il faudra s'en accommoder, jusqu'au bout. Déjà parce qu'il y a l'enfant qui le fruit de l'amour passé et qui demeure un lien pour toujours, et parce qu'il y a toujours un passé, un passif, une complicité, quelques geste et regards. Chacun admet et comprend ses fautes, parfois les surmonte, voir change, même si c'est trop tard, même si on y repense parfois, même si on regrette... la vie continue.


Film délicat, subtil et cruel, porté par un duo d'acteurs remarquables, à commencer par Scarlett Johansson, toujours aussi extraordinaire et un Adam Driver dans un registre où je ne l'attendais pas. On est dans le pur drame social, avec un film qui cerne finement l'intimité d'un couple qui rompt et le rôle social et politique du divorce dans nos sociétés, une norme, de laquelle l'enfant doit être préservé, quoi qu'il en coûte. Doux amer.

Tom_Ab
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le 8 déc. 2019

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Tom_Ab

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