Eté 94.Amin,jeune homme parti vivre à Paris,revient à Sète pour les vacances.Il y retrouve sa famille et ses amis.Abdellatif Kechiche envisageait "Canto uno" comme le premier volet d'une trilogie.Mais après le scandale provoqué par le second épisode,"Intermezzo",au dernier Festival de Cannes où il était présenté,on ne sait pas trop s'il y en aura un troisième.Scandale assez curieux d'ailleurs,vu qu'il est dû à une scène de cunnilingus non simulée,pas de quoi fouetter une chatte.D'autant que le réalisateur est coutumier du fait."La vie d'Adèle" comprenait déjà nombre de moments très chauds,et ce "Canto uno" débute par une longue et torride séquence de baise impliquant la plantureuse Ophélie Bau,celle-là même qui se fera bouffer le minou lors du second opus.Le film est coécrit par Kechiche et sa comparse habituelle Ghalya Lacroix,et ressemble à un marivaudage à la Rohmer,genre Machine aime Truc qui préfère Chose qui aimerait bien se faire lutiner par Dugland.Sauf que le style hardos d'Abdel,il déteste qu'on l'appelle Abdel,prénom qu'il utilisait à ses débuts,quand il était acteur,est naturellement fort différent de celui du chichiteux Eric.Mais sur le fond,ça revient à ça.Les nombreux détracteurs du film lui ont reproché sa vacuité,et c'est vrai qu'on peut le voir comme ça si on s'arrête aux apparences.Nous suivons les tribulations d'une bande de jeunes vacanciers qui vont à la plage dans la journée et en discothèque le soir.L'histoire est tissée de dialogues à l'arrache qui semblent improvisés et donnent une impression de malaise tant les personnages paraissent n'avoir rien à se dire en-dehors de leurs petits problèmes d'amourettes,quand ils ne sont pas carrément rendus inaudibles par l'ajout de musiques assourdissantes ou la diction incertaine des interprètes.En fait,Kechiche préfère le langage des corps,qu'il filme voluptueusement,et passe principalement par la gestuelle,les regards,les attitudes.Si on se laisse prendre au charme insidieux de "Canto uno",on découvre une oeuvre loin d'être aussi vide qu'on pourrait le croire.Le cinéaste parvient en réalité à décrire cette époque de basculement qui est la nôtre.C'est librement inspiré de "La blessure,la vraie",un roman de François Bégaudeau,et c'est censé se passer dans les années 90,mais on reconnait parfaitement le monde actuel.Un monde confus et chaotique où les repères s'effacent sans pour autant créer quelque chose de consistant à la place.Rien que le titre,"Mektoub,my love",est symptomatique de cette entropie.Ce mélange d'arabe et d'anglais pointe précisément la décadence en cours qui commence par la dénaturation de la langue.Ainsi,l'auteur nous présente le grand métissage à l'oeuvre,ce changement de société qui s'opère,sans qu'on sache clairement s'il le déplore ou s'en félicite car,sagement,il s'abstient de donner des clés ou d'administrer des leçons.Voici donc des jeunes gauloises qui parlent mieux l'arabe que des maghrébins d'origine qui ont oublié cette langue de leurs aïeux,ou ne l'ont jamais vraiment apprise.Voici des tunisiens,des souchiens et des asiatiques qui évoluent de concert,se dirigeant vers le même abîme néantisé.Eloge d'un multiculturalisme fantasmé ou constat cruel de la disparition des cultures?Allez savoir.Quoi qu'il en soit,le choc ne se situe plus au niveau des races dans cet univers,mais à celui de l'héritage culturel,accepté ou refusé,ce qui est symbolisé par le personnage d'Ophélie,fille libérée bien de son temps,salope infidèle,tentatrice désinvolte et......éleveuse de chèvres et de moutons dans l'exploitation familiale,le grand écart à tous les niveaux.Les beurettes attifées comme des putes se déchaînent à la plage ou en boîte,sous le regard bienveillant de leurs frères,oncles ou parents débarrassés de tout machisme méditerranéen,tandis que la mère d'Amin encourage son fils à sortir et à fourrer.Kechiche traite aussi,à travers Amin, du statut supérieur de l'artiste.Il est clair que le garçon est le double du réalisateur,son porte-parole.Taciturne,toujours en retrait,il observe les autres sans trop s'impliquer,ce qui lui vaut de devenir le confident de tout un chacun.Car lui n'est pas comme les autres,c'est un scénariste,un photographe,un artiste,très éloigné des dragueurs lourds et des chaudasses qui l'entourent.Ce qui ne l'émancipe pas des sentiments,car il est depuis toujours amoureux d'Ophélie,qui ne le sait pas ou feint de l'ignorer.Un amour compliqué car la belle est fiancée à un militaire absent et copule furieusement avec Tony,le cousin d'Amin,un séducteur compulsif."Canto uno" offre finalement le portrait d'un monde régressif en route pour le retour à la sauvagerie originelle,comme le synthétise cet enchaînement de scènes qui voit se succéder une séquence d'accouchements de brebis à la bergerie et une autre de fiesta en boîte de nuit.Paradoxalement,la première est en état de grâce,quasiment en apesanteur,alors que la seconde exsude une animalité débridée.On y rencontre au passage,par le biais du flirt entre Céline et Ophélie,le goût de Kechiche ,déjà très affirmé dans "La vie d'Adèle",pour le saphisme,autre attribut incontournable du post-modernisme.Notons que la ville de Sète est devenue très tendance pour l'audiovisuel français.C'est le décor de l'infect feuilleton quotidien de TF1 "Demain nous appartient",et Abdel y avait déjà tourné en 2007 "La graine et le mulet".Mais la référence de "Mektoub,my love" est plutôt à chercher du côté de "Touche pas à mon copain",film de 76 réalisé par Bernard Bouthier et qui présente de troublantes similitudes avec "Canto uno" puisqu'il y était aussi question d'un artiste sétois,musicien en l'occurrence,qui revenait au pays après avoir passé des années à Paris et retrouvait ses potes de jeunesse.Mais évidemment le contexte des trentenaires désabusés des seventies diffère sensiblement de celui des post-ados actuels.Ceci dit,Kechiche refuse de filmer la ville,se concentrant sur des plans serrés au plus près de protagonistes dont il traque la sensualité exacerbée.L'oeuvre n'est pas exempte de scories,sa longueur excessive pouvant notamment rebuter au fil de scènes très étirées,et le cinéaste s'ingénie à plaquer n'importe comment sur ses images des musiques déphasées et très variées qui vont du classique au religieux,en passant par le raï,la salsa ou Bashung,pour finir avec les hippies de San Francisco.Le côté faux documentaire peut parfois aussi agacer.Compte-tenu de ce dispositif particulier,les comédiens,tous inconnus à l'exception de Hafsia Herzi,déjà présente dans "La graine et le mulet",se débrouillent fort bien.Même s'ils semblent tous avoir été sélectionnés pour leurs physiques avantageux,la plupart d'entre eux sont d'intéressantes révélations.Shaïn Boumedine porte à la perfection le personnage complexe d'Amin,alors que Salim Kechiouche a le charisme nécessaire pour interpréter le serial dragueur Tony.Ophélie Bau a une présence et un sex-appeal détonants,tandis que Lou Luttiau est une ingénue perverse de choix.Signalons enfin que la mère d'Amin est jouée par l'excellente Delinda Kechiche,qui n'est autre que la soeur d'Abdellatif.

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le 24 juin 2019

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