Et encore, parfois, sa sainteté elle-même éprouve quelque réticence à distribuer pardon et rédemption comme Djizeusse le faisait avec les pains dans la gueule au marché - et le messie se redressa de toute sa taille et dit d'une voix haute et claire : "Vous allez vous aimez les uns les autres, bordel de merde !" Ce qui est sûr, c'est qu'au sortir de mon premier film de Nicolas Winding Refn - Valhalla Rising, critiqué sur ces terres - mon humeur tendait plus au massacre qu'à la compassion et il n'avait pas fallu moins que l'excellent Drive pour me rabibocher avec le cinéma atmosphérique et troublant du danois. Après la Scandinavie et l'Amérique, l'animal confirme ses velléités globe-trotteuses en traversant un nouvel océan, direction Bangkok !
"Je veux une gamine de 14 ans", dit Billy, trafiquant de drogue américain expatrié en Thaïlande, au patron d'un bordel de Bangkok. Quelques heures plus tard, on le retrouve prostré sur un lit, aux côtés du cadavre mutilé d'une toute jeune fille. Il est descendu aux enfers et y a perpétré tout ce que l'on peut attendre d'un diable, initiant une longue série d'actes de vengeance et de représailles mis en scène avec une sorte de volupté langoureuse. Accompagnés par une bande son envoutante et épurée - moins marquante que celle de Drive mais plus seyante à l'objet qu'elle illustre, d'une certaine manière - on plonge dans ces bas-fonds thaïlandais comme on le ferait dans un trouble cauchemar. La musique discrète et sourde résonne comme une pulsation lointaine et la photographie joue habilement du contraste entre l'ombre et les lumières bigarrées de la nuit de Bangkok. Chaque scène est un tableau filmé avec une précision d'horloger, souvent avec un unique point de focalisation, comme si tout le reste était figé, dans l'attente. En résulte un sentiment étrange de fixité, d'action hachée, qui participe largement à l'onirisme du film. La violence est prégnante, comme toujours dans le cinéma de Refn, mais elle n'est pas pour autant filmée avec complaisance. Venant du bord occidental - dominé par une époustouflante marâtre castratrice - elle est sordide, gratuite et impulsive, du meurtre initial au mépris glacial qu'affiche la mère de Billy à l'encontre de son second fils Julian. Du côté oriental au contraire, elle agit comme un retour de bâton implacable, raffiné et presque chorégraphié, l'expression d'une justice divine qui se serait échappée du ciel pour punir ceux qui profitent du commerce sexuel immoral sévissant en Thaïlande. Au milieu de ce marasme, le personnage de Julian se révèle complètement impuissant, incapable de s'élever contre une punition qu'il estime méritée mais tout aussi incapable de braver l'autorité de sa mère, coincé entre la justice de la Providence et la vengeance du sang, il apparaît dans cette défroque de faiblesse et d'indécision comme la seule étincelle d'humanité fragile plongée au sein d'une lutte qui la dépasse.