Vu avec ma copine pékinoise, ce film est de sa bouche très proche de la réalité (des grandes villes et périphéries bien sûr) et rejoint d'ailleurs ce que j'ai pu voir ou comprendre (par exemple dans Le Rêve dans le Pavillon Rouge dont on retrouve pas mal de manières et habitudes dans ce film). A ce titre, il ne plaira pas à tout le monde tout comme les films français de ce type qui se font cracher dessus : voir la vie "normale", ça ne fait pas rêver.
Sans être ébahi par ce Séjour dans les monts Fuchun dont le titre semble plus racoleur que support d'une réflexion profonde, j'ai été assez saisi par sa justesse et par sa construction élégante (notamment avec toutes les saisons qui se suivent et qui sont couvertes par le film). Au travers de la peinture de quatre frères, issus de deux mères deux par deux (les deux aînés puis les cadets), le film va illustrer plusieurs aspects de la Chine, de ses conditions de vie et de sa société en mutation.
Le premier frère verra sa fille briser le cercle infernal des mariages arrangés censé "rembourser" les parents pour choisir un mari écrivain et professeur perçu comme incapable de pourvoir aux besoins familiaux, notamment dans un pays où l'immobilier est très cher (dans les grandes villes, sachant que la surface des parties communes est incluse dans les superficies).
Le second justement, vivant avec sa femme et son fils dans un petit bateau de pèche suite à la destruction de sa maison (destruction lui rapportant gros, cette opération étant grassement remboursée par le gouvernement) achètera un appartement pour son fils et sa future femme, eux vivant dans la péniche. On retrouve cette idée de sacrifie qui se perpétue entre les générations.
Le troisième, joueur et investisseur malavisé, père d'un fils atteint de trisomie 21, aura recours à des moyens illégaux pour rembourser ses prêteurs.
Le quatrième, un peu "simplet" illustrera plutôt la malédiction du "cadet" et aussi une sorte de résistance face au modèle de réussite chinois avec son attitude décontractée bien qu'involontaire.
De façon transversale et globale, le film permet d'appréhender les rôles familiaux (l'aîné protecteur et responsable de ses cadets, etc.), rôles finalement quasiment universels, les générations en Chine semblant décalées d'un cran par rapport à la France en termes de problématiques. On y retrouvera aussi le problème l'immobilier et ce paradoxe étrange entre opulence immobilière et vie quasiment tiers-mondiste à côté de gens qui ne sont même pas pauvres (le second frère).
La vieillesse de la grand mère et une décomplexion totale par rapport au termes de l'argent exposent avec subtilité et justesse les conflits de la culture chinoise, à la fois attachée aux aînés mais presque désintéressés d'eux, cette génération se sacrifiant dans une philosophie dans laquelle la mort n'est pas dramatisée.
Un joli film donc, à la fois universel dans cette peinture familiale mais aussi spécifique dans son exposé des problématiques qui agitent la Chine "nouvellement" (certes ça commence à dater) riche et dans son inconscient collectif. Un portrait neutre, légèrement ironique à petites doses (comme la scène des vœux de longue vie suivie immédiatement par un infarctus ^^) de la Chine dans ses aspects traditionnels et modernes. Légèrement engagé en faveur d'une rupture avec la tradition castratrice et sacrificielle, le film est aussi une peinture familiale - avec très peu de niaiserie (ce qui est important) - universelle accessible à tous. A réservera à ceux qui aiment les peintures justes de la vie de tous les jours en conformité avec la vision Proustienne.