Je n’échappe pas au poncif. Oui, en tant que citoyen français né avant le troisième millénaire, en lisant le synopsis de Tel père, tel fils, j’ai pensé à La vie est un long fleuve tranquille d’Etienne Chatiliez. Trop jeune pour l’avoir vu au cinéma, mais pas assez pour échapper aux nombreuses rediffusions du dimanche soir, la comparaison m’est inévitable. Mais d’une même matière, les deux réalisateurs créent deux œuvres extrêmement différentes. De ce matériau brut, Etienne Chatiliez a tiré une comédie satirique et sociale. Kore-Eda a fait une chronique intimiste et sociale douce-amère.


De ce prisme hautement subjectif, je tire deux ruptures.



  • Du particulier à l’universel


Au risque de faire une lapalissade, la première rupture est culturelle et temporelle. La vie est un long fleuve tranquille est un film français des années 80. Tel père, tel fils est un film japonais des années 2010.


Je préviens tout d’abord que mon souvenir du film d’Etienne Chatiliez est fragmentaire et ne prendra pas objectivement en compte toutes les qualités du long-métrage. En France, pour mettre le doigt dans la plaie, les réalisateurs prennent souvent le biais de la comédie. Le rire cathartique comme thérapie. Ma faible connaissance du cinéma japonais me fait penser que l’approche est plus indirecte.


Il serait aisé de dire que l’approche de Kore-Eda est plus subtile, mais la différence culturelle se situe essentiellement dans la pudeur et la retenue. Chez Kore-Eda, une larme qui coule a d'autant plus de force.


La mise en scène accompagne le bouleversement des personnages. Au début du film, Kore-Eda fait preuve d’une maîtrise incroyable de son cadrage, des plans esthétiques jouant sur la symétrie ou la géométrie de ses décors. Un cadrage au plus près de Ryota Nonomiya, dont la profession touche l’architecture. Mais au fur et à mesure que celui-ci perd ses repères, la caméra se fait moins rigoureuse et la caméra se rapproche de ses personnages pour une démarche plus intimiste. J’ai été plusieurs fois surpris par la subtilité de ses légers travellings décalés. De petites touches qui bouleversent une composition trop académique.


En France, la lutte des classes implique une bataille et une forme de violence. Chez Kore-Eda, les différences sociales sont d’abord une incompréhension et des mondes qui s’ignorent. Une zone de jeu d'un espace commercial, neutre, impersonnelle et superficielle est d’ailleurs ce no man's land indispensable où les deux univers peuvent se rencontrer. Le seul moment où cette différence sociale éclate se passe au tribunal, quand les parents apprennent les raisons de l’échange. La violence est symbolique, mais elle reste confinée par l’espace austère de la justice.


Il ne faut pas non plus oublier que les deux pays n’ont pas les mêmes codes, culturels et législatifs, face à une même situation. Je me réfère en cela à un article de Courrier international paru suite à la sortie du film.



Selon Una Kan, maître de conférences à l’Université métropolitaine de Tokyo, « dans la sphère culturelle chrétienne, à laquelle appartiennent les pays occidentaux mais aussi des pays comme la Corée du Sud, on accordait une grande importance aux liens du sang, alors qu’au Japon on privilégiait la pérennité de la famille, indépendamment du lien biologique ». Les choses ont changé avec le Code civil de Meiji, adopté au lendemain de la guerre sino-japonaise [en 1898]. La composition de la famille, la relation parent-enfants et le mariage ont été réglementés et les liens du sang ont commencé à revêtir de l’importance. Avec la modernisation de la société japonaise, la nucléarisation de la famille a progressé et la taille de la famille japonaise s’est de plus en plus réduite.



Aussi japonais que soit ce film auréolé du Prix du Jury à Cannes en 2013 , il a une grande vertu universelle. Tel père tel fils est un miroir que nous tend Edo. Et j'y ai vu les reflets de mes joies et mes doutes de père.



  • Pater familias


Là s’opère la deuxième rupture, beaucoup plus subjective. L’adolescent qui a vu La vie est un long fleuve tranquille n’est pas le père de deux enfants qui a vu Tel père, tel fils. Il est certains sujets que l’on vit plus dans sa chair que d’autres.



« Je voulais réfléchir à ce qui unit un père et son enfant. C’est en voyant ma petite fille de 6 ans grandir que je me suis demandé ce qui me liait à elle : le temps ou le sang ? Que pense-t-elle de moi comme père ? Qu’est-ce qui fait qu’elle est ma fille ? Les faits divers sur les échanges d’enfants ont été un prétexte pour raconter l’histoire » Hirokazu Kore-Eda (Le Monde)



Alors que je devrais me sentir en phase avec Etienne Chatiliez, je me suis senti plus proche de la démarche d’Hirokazu Kore-Eda. A travers ce long-métrage, le réalisateur et moi partageons nos certitudes et nos interrogations, comme le feraient bon nombre de pères. Quand l’universel se mêle à l’intime, il n’est pas galvaudé de parler de chef d’œuvre.


Je parle d’ailleurs ici beaucoup des pères, car le titre du film et mon ego m’y obligent, mais il ne faut pas oublier que dans Tel père, tel fils, les pères sont les imbéciles. Les seules personnes à vraiment saisir les enjeux de cet échange sont les mères.


Dans son article, Courrier international cite une anecdote révélatrice du fond du film, sur la question du lien de sang : « “Reviens quand tu veux !” Le réalisateur Hirokazu Kore-eda avait été interloqué lorsque sa fille, âgée de 3 ans à l’époque, lui avait dit ces mots le lendemain d’un retour de tournage après un mois et demi d’absence. Du statut de père, il était relégué à celui de simple visiteur occasionnel. “Les liens du sang ne comptent pas plus que ça pour les enfants”, s’était alors dit le cinéaste.



« J’ai l’impression que, plus ça va, plus on a tendance à considérer que les liens qui unissent les êtres sont les liens biologiques. Mais il y a d’autres liens que ceux du sang, et ce sont ceux-là qui font que notre vie est plus riche. » Hirokazu Kore-Eda



Et dans Tel père, tel fils, le réalisateur japonais démontre que le meilleur test de paternité n’est pas l’ADN, mais un bout de paille mâchonné.




Comme pour Les Délices de Tokyo, j’ai voulu m’intéresser au fond historique de ces échanges d’enfant. J’ai trouvé peu de documentation, mais je suis tombé sur un article de Libération qui raconte l’histoire réelle d’un homme échangé à la naissance. La fiction n’a rien à envier au réel.




Ce film m’a été conseillé par Ny'. Comme promis, j’en ai écrit une critique.

Caledodub
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le 28 janv. 2018

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