Le film nous raconte l’histoire d’un dangereux tueur en série dans l’Amérique des années 70. On adopte le point de vue dudit tueur qui fait le récit de son parcours de meurtrier à un mystérieux interlocuteur, et ce à travers 5 « incidents » comme il les appelle.


Le film est interdit aux moins de 16 ans dans les salles françaises et pour cause. On connait la propension du réalisateur à choquer le public et The house that Jack built ne fait pas exception à la règle. Pas d’effusion d’hémoglobine à la Tarantino, mais des scènes qui se veulent plus réalistes, plus froides et plus malsaines, à l’image du personnage, complètement dépourvu d’empathie, pour qui le meurtre n’est que le croquis d’une œuvre d’art et les personnes qu’il tue de simples outils à sa création.


Outre la violence du sujet et de son traitement, reconnaissons à Lars Von Trier qu’il sait écrire et réaliser. A l’exception de quelques petites baisses de rythme sur les deux heures et demie de film, on sent que le danois sait où il va. A travers une réalisation et un montage maîtrisés, le réalisateur nous expose très vite le parti pris qui est le sien, à savoir de construire une comparaison argumentée entre art et meurtre, et ce bien au-delà des concepts de bien, de mal et de moralité. La force de Lars von Trier à ce niveau-là réside dans le fait qu’il prend tout de même la précaution de ne pas affirmer, simplement de proposer. Les propos malsains et immoraux de Jack sont presque toujours appuyés d’images d’archives en tout genre (allant de la photo de guerre, au schéma d’architecte en passant par le dessin animé pour enfant) mais sont toujours raillés et ramenés à leur incohérence, à leur absurdité par le mystérieux interlocuteur nommé Verge. Quant aux actions terribles du personnages, il y est toujours glissé une aberration, un élément de non-sens qui pousse le spectateur à rire de la scène (s’il a suffisamment d’humour noir) sans pour autant que cela minimise la violence et l’horreur de celle-ci. Le personnage de Jack nous est sans cesse présenté comme oscillant entre le dangereux psychopathe, dangereux, brillant, méthodique, et l’homme presque infantile parfois, qui ne semble pas maîtriser grand-chose et certainement pas ses pulsions et tocs auxquels il est complètement soumis et qui lui font faire des choses totalement déraisonnées.


! Attention Spoiler !


Le réalisateur danois opère un brusque virage à la fin, avec son épilogue. Le film, jusque-là ancré dans un univers très réel, nous emmène dans les profondeurs d’un Enfer façon Dante. Verge, interlocuteur de Jack depuis le début guide ce dernier jusqu’aux confins de cet enfer et l’on ne peut s’empêcher de ressentir, à travers la réalisation de Lars Von Trier, toute la jouissance du danois à traiter ce sujet.


Ce dernier segment vient cristalliser le discours que tient Jack durant les deux heures de film durant lesquelles on assiste à tous ses meurtres. En effet, l’horreur, la mort, le mal, etc, ce peut être de l’art et tous les meurtres que Jack commet ne sont que des œuvres d’art qui le rapprochent petit à petit de son chef-d’œuvre, sa « masterpiece », son ultime meurtre (une balle pour plusieurs victimes). Jack fait de ses crimes de l’art, en tout cas selon lui. Eh bien Lars Von Trier fait de cette dernière séquence en Enfer où règne lave, corps et désolation, le moment le plus clinquant du film, d’un point de vue esthétique. Les couleurs sont saturées, la lumière chaude, le cadre composé dans les moindres détails, les plans ralentis à l’extrême, et peu importe l’incohérence de raccord entre ces plans et ceux qui précèdent, en mouvement, lumière naturelle, etc. On a affaire ici à des peintures, littéralement, Lars Von Trier met des tableaux en images.


Difficile de ne pas voir dans ce film l’implication personnelle de Lars Von Trier. Outre l’intégration de plans extraits de ses propres films précédents dans le montage, on retrouve tout un discours sur l’art qui colle si bien au danois qu’on se demande si ce n’est pas même un film manifeste, une attaque à ses détracteurs. Après tout Lars Von Trier est volontairement provocateur et aime déranger au plus haut point (voir Antichrist) mais n’en demeure pas moins un artiste (en tout cas selon lui, chacun est libre de se faire son opinion), un cinéaste qui aime composer avec de l’horrible, du malsain, du dérangeant, de l’immoral. « Je mets de moi dans tous mes personnages. Mais pour Jack c'est évident. Il se voit comme un artiste, moi aussi » a-t-il confié. Et d’ailleurs comment ne pas le croire sur parole quand on voit dans le film le parallèle que fait Jack entre l’artiste et les grands dictateurs de notre Histoire, Hitler en tête de file : souvenons-nous que LVT avait été exclu de Cannes en 2011 pour avoir plus ou moins encensé l’esthétique nazie et conclu par « Ok, I’m a nazi ».


Outre l’évident rapprochement entre le personnage de Jack et Lars von Trier – son impossibilité à contenir ses pulsions provocatrices notamment – le film reste très intéressant, très bien mené, avec des acteurs excellents et une construction efficace. Ceux qui n’ont pas peur de la provocation et de l’humour noir y trouveront un divertissement de qualité et se verront peut-être même contraints de réfléchir sur certains propos et symboles avancés dans le film, pour les autres qui ne sont pas forcément adeptes de ce cinéma, passez votre chemin ou laissez vos principes à l’entrée car notre Danois aimera les mettre à mal.

Emile_Belleveaux
7

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le 31 oct. 2018

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