The House that Jack built se construit comme un négatif, une réponse-miroir dans laquelle la chaleur de l’orgasme se serait rangée parmi les corps inertes peuplant ce vaste congélateur humain. Car à la chaleur de l’alcôve se substitue la glace de la chambre froide avec, en point de jonction, une réflexion sur l’origine de la création artistique. Le négatif capte l’envers de la lumière, Lars von Trier absorbe Lucifer. Ici la violence n’est pas le propos, et s’égosiller sur l’épanchement putride avec lequel le réalisateur construit son récit est un leurre. La violence est, comme le corps, un matériau. Le matériau de l’artiste. Ce qui importe n’est pas là, ni d’ailleurs dans le résultat, notion purement matérialiste et des plus ternes. Tout réside dans le chemin suivi. C’est en cela que The House that Jack built est une route, celle tracée par le sang d’un cadavre traîné depuis une camionnette de la même couleur, conduite par le créateur-destructeur qui ne tardera pas à revêtir le chaperon rouge, rappelée sans cesse par un câble de téléphone tel le fil d’Ariane destiné à sortir du labyrinthe pour mieux lui donner vie et sens. Lars von Trier convoque un imaginaire qui emprunte à la religion et au conte dans un même traitement grotesque : des sept nains nous avons Grincheux défiguré et Simplet à la blondeur caricaturée, le rôle de Prof étant assumé par le bourreau, du Petit chaperon rouge demeure la cape et la lutte entre innocence et prédation, agneau et loup (ici tigre). La religion imprègne elle aussi l’œuvre puisque cette dernière se découpe en chapitres tels les sept cercles du Purgatoire dantesque. Car Trier réécrit Dante : le Virgile éclaireur devient la Verge, les sept péchés capitaux tous réinvestis dont le dernier, la luxure, ultime cercle du Purgatoire, n’a d’équivalent que dans la posture même de l’artiste qui laisse entrer en lui, chez lui, dans sa demeure par les crimes construite, le public ici représenté par les policiers et, avant eux, les spectateurs. Inutiles donc les mots de perversité, de complaisance, de violence gratuite, de provocation. The House that Jack built est une œuvre d’art sur l’œuvre d’art, didactique dans sa volonté de rejeter la didactique en se ponctuant de peintures et en se doublant d’une voix off, rhétorique dans sa volonté de rejeter la rhétorique pour mieux, dans ses paradoxes, épouser les paradoxes de la création. Soit l’incapacité de l’artiste à saisir ce qu’il sort de lui et met au monde, à escalader l’Enfer pour espérer retrouver la lumière et, avec elle, le bruit d’une plaine de l’enfance respirant tout entière par les faucheurs, l’être sensible et sa perception du monde, la mort. Aussi inaccessible que l’idée de naïveté originelle lorsque l’enfant amputa le caneton, symbole de la tyrannie artistique et de la volonté de contrôler, par l’art, le monde. “Hit the road Jack and don't you come back no more”.

Fêtons_le_cinéma
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le 13 nov. 2018

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