Voilà un film dont j’ai souvent entendu parler et que je voulais voir depuis un petit moment. Je me suis lancé tête baissée dans The House that Jack Built, sans trop savoir ce que j’allais vivre, et même pendant le visionnage, Lars von Trier prend un malin plaisir à vous bouleverser, à vous retourner dans tout les sens, de sorte que jamais vous ne savez ce qui va vous attendre à la scène suivante. Le film parvient à étonner et fasciner de bout en bout, et rien que pour ça, il mérite des éloges.


On suit Jack, donc, un tueur en série qui nous narre cinq de ses crimes. Le film rentre directement dans le vif du sujet avec la première histoire, assez courte et expéditive, qui pose très bien le ton et la réalisation du film. Celle-ci prend souvent des aspects de documentaire au long du film, lors des histoires de meurtre plus principalement, ce qui permet de donner un aspect naturaliste à ces passages – et c’est un point important qui permet de nous faire ressentir au plus près la tension qui s’établit peu à peu dans chacun de ces cinq meurtres. Le début du film présente ainsi cette réalisation sans ménagement, filmée caméra à l’épaule, avec parfois des zooms pendant une scène qui mettent un petit moment avant de se mettre au point et qui laissent donc une image floue pendant quelques instants… C’est assez déstabilisant de prime abord, d’autant que c’est une réalisation que j’apprécie moyennement d’ordinaire, mais ici elle est utilisée à merveille et fort à propos par Lars von Trier. Si ces plans ont été gardés au montage, c’est qu’il y a bien une raison !


M’étant lancé dans le film à l’aveugle, j’ignorais à quoi m’attendre, et la principale question qui me taraudait, après ce premier meurtre, c’était «comment faire tenir ce concept sur 2H30» ? Je pensais, naïvement, avoir affaire à un simple thriller comme il en existe plein d’autres. Mais après le deuxième meurtre, c’est là que le film prend véritablement son envol et que j’ai compris que le film était bien plus que ça. Il ne s’agit pas de suivre les pérégrinations d’un tueur, mais bien de suivre la pensée d’un artiste. The House that Jack Built est une réflexion sur l’art qui ne peut laisser indifférent.


Le film est une plongée dans l’esprit de Jack, qui nous fait comprendre le processus créatif derrière chacun de ses crimes. Ses actes sont ignobles, certes, et pourtant il s’en dégage toujours une certaine poésie. Dès le troisième meurtre, on est saisi de stupeur devant le caractère implacable de Jack, devant le soin qu’il met à préparer ses «oeuvres». Car Jack est un perfectionniste, et chacune de ses actions est le prolongement d’une longue réflexion. C’est probablement le point le plus terrifiant du film, la manière dont un tel raisonnement artistique et logique vient justifier et recouvrir la violence d’un cerveau malade. A chaque nouvelle scène, on est saisi d’une fascination malsaine pour Jack et son œuvre, on veut voir ce qu’il a préparé, comment il peut aller plus loin que lors du meurtre précédent, comment il compte perfectionner son art. Et tout en même temps, Lars von Trier parvient à nous faire ressentir de la compassion pour les victimes de Jack, et à bâtir une tension qui atteint des sommets lors des troisième & quatrième «incidents». Si le premier meurtre était expéditif, chaque nouvelle machination est établie de manière plus sophistiquée, mais aussi plus cruelle, jusqu’à ce cinquième incident décisif dans lequel Jack fait languir ses victimes, mais également ses spectateurs, jusqu’à cette fin grandiose qui vient chambouler le film tout en lui apportant sa conclusion logique.


Plus que l’oeuvre de Jack, ce sont bien les réflexions artistiques de Lars von Trier que l’on admire dans The House that Jack Built. Jack est Lars von Trier, et Lars von Trier est Jack. Le réalisateur ne fait qu’un avec son personnage, avec son film, et nous expose sa pensée complexe sur l’art. Le film est d’ailleurs un peu provocant, et Lars von Trier prend un malin plaisir à se jouer de ses détracteurs en peignant un Jack passionné par la grandeur de l’art nazi – mais peut-on en attendre moins de lui, lui qui est capable de chasser littéralement sa femme et ses enfants pour la beauté de l’art ? C’est un film immoral, bien sûr, mais qui nous montre l’art dans ce qu’il a de plus profond. Dans l’art, il ne s’agit pas simplement de peindre ce qui est beau et vertueux. Tout au contraire, l’art permet de révéler toute la beauté de choses anodines, voire totalement ignobles. Et c’est pour cela que la réalisation de The House that Jack Built oscille entre des plans absolument hideux, tournés comme un documentaire, et des plans splendides et savamment construits. Tant par sa forme que par son fond, The House that Jack Built est un film où se côtoient le Sublime & l’Hideux, où de la pire des atrocités naît la plus belle des œuvres d’art.

Charlandreon
9
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le 20 févr. 2021

Critique lue 102 fois

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