Je tiens à prévenir que ma critique risque d'être un gros foutoir. Je m'en excuse d'avance, et j'espère qu'elle sera néanmoins compréhensible.

Le nouveau film de Paul Thomas Anderson fait partie de ces films qui divisent (récemment, on pense à Cosmopolis ou Tree Of Life, par exemple). Mais pourquoi divise-t-il? Et je dirai que la réponse majeure à cette question est seulement que The Master est un film dans lequel il faut s'investir.
Oui, car ici on n'est pas chez Bay, ni dans un film d'Angelina Jolie: si l'on veut profiter pleinement du spectacle qui s'offre à nous, il faut donner de soi. Donner de sa personne donc, mais aussi de son temps, de sa réflexion, et bien sûr de sa concentration. Vous l'aurez compris, la dernière cartouche cinématographique d'Anderson est une oeuvre exigeante.
Si vous n'êtes pas prêt à être "à fond" pendant un peu plus de 2h10, vous passerez à côté. Et pourtant, c'est pas faute à Anderson de nous livrer des scènes toutes aussi brillantes les unes que les autres, à condition d'y être sensible.

Au premier abord, The Master est un film qui diffère totalement de la norme cinématographique qui régit notre époque: le public se contente de peu. Ou de moins en moins. Mais, notre ami Anderson s'en moque. Et après un There Will Be Blood acclamé plus ou moins partout à travers le monde, il nous montre qu'il a du courage. Le courage de monter un film audacieux, percutant, dérangeant, qui met à mal l'image terne du cinéma actuel.
Mais passons, après tout je n'ai toujours pas parlé du film. Pas vraiment en tout cas.

The Master est donc un film qui raconte l'histoire d'un homme, Freddie Quell, obsédé sexuel, alcoolique, mythomane, paumé, seul au monde, et loser, qui, après avoir tué (accidentellement?) un collègue, doit fuir à toutes jambes une cohorte d'hommes lancée à ses trousses. Afin de leur échapper, Quell décide de s'incruster à l'intérieur d'un bateau dont il n'est connu ni d'Eve, ni d'Adam. Au beau matin, venant de se réveiller avec la gueule de bois, une jeune femme lui indique une pièce, dans laquelle il pénètre, et observe qu'un homme y est présent. Mais qui est cet homme? Un homme au physique imposant, barbu, et qui commence à visiblement vieillir. Cet homme, c'est Lancaster Dodd, qui lui affirme être sur ce bateau pour y marier sa fille, et rentrer chez lui, aux States. Dodd lui raconte être à la fois médecin, mathématicien, philosophe, écrivain.. Il s'affiche surtout comme un "sauveur" pour Quell, étant prêt à lui donner du travail si celui-ci parvient à se confesser.

Car voyez-vous, et comme vous le savez surement déjà, Lancaster Dodd, est un gourou. Appelé le "Maître", il est à la tête de la secte surnommée "La Cause", qui prend sous son aile des individus faibles, perdus. Quell fera tout d'abord connaissance avec les pratiques de La Cause. Il assiste ainsi aux écoutes répétées de différents membres répondant à des questions personnelles, et devant y répondre le plus sincèrement possible.
Puis, viens le jour où Dodd, souhaîtant le "purger" de son alcoolisme, fait passer à son tour Freddie à l'interrogatoire. On assiste ici à une scène magnifique. Alors que jusqu'à présent Dodd semblait être un "tuteur" pour Quell, ou plutôt une figure paternelle, Lancaster reprend son titre de "Master", et Quell subit. On entre-aperçoit les "techniques" de la secte au plus près: les questions sont posées, l'interlocuteur y répond, et ce, fonctionnant comme une séance d'hypnose. Car oui, c'est bien une séance d'hypnose à laquelle s'adonne le gourou, posant inlassablement les mêmes questions, commençant toujours par un "What is your name?" demandé à répétition. Et si la personne sous hypnose apparait comme une "victime", c'est bien parce que Dodd lui pose les questions les plus dérangeantes possible: drogues, alcool, sexe/inceste, meurtres.. Toutes les pulsions animales de l'homme sont interrogées.
Dans quel but? En convocant les membres à s'interroger sur leurs pulsions les plus enfouies, Dodd cherche avant tout à connaître les faiblesses de ces individus, et donc à connaître l'origine du "mal". Car ne vous y détrompez pas, le Maître vous connaît par coeur, peut-être mieux que vous-même.

Mais cette relation maître/disciple s'efface progressivement. Ainsi, Lancaster a beau blâmé Quell pour son alcoolisme patent, il reste tout autant admiratif devant le cocktail alcoolisé que lui prépare régulièrement son disciple. Mais au fond, la relation des deux êtres semblent avant tout amicale. Ils boivent ensemble, fument ensemble, parle inlassablement, arrivent même à se manquer.. Ils se connaissent par coeur, et n'ont pour ainsi dire, que les épaules de l'autre sur lesquelles se reposer. Quell est prêt à tout pour défendre son ami. En témoigne plusieurs scènes: l'une où un homme remet en cause la véracité des propos énoncés par Dodd (Quell le tabasse), une autre où les flics viennent emmener le "prophète" en prison (il s'en prend aux flics), mais surtout la scène où Quell démonte l'éditeur de Dodd, qui avait osé l'accusé de "charlatan". Freddie, c'est un peu la "fureur de vivre". Il n'a peur de rien, est capable de tout, mais il est surtout libre. Il n'a donc pas de Maître.
Et c'est alors là que l'on se rend compte que la relation de supériorité qu'il existait au départ n'est qu'illusion. Nos deux personnages principaux sont au même niveau. Mais l'un des deux envie l'autre.
Ainsi, Dodd est peut-être intelligent et à la tête d'une secte, lorsque les deux sombrent dans l'alcoolisme, lui s'aperçoit vite qu'il ne peut continuer ainsi. Voyez-vous, il possède également de nombreuses zones d'ombre lui aussi. Ne se plonge-t-il pas dans le sexe plutôt que dans l'amour véritable afin de mieux les cacher?

Dodd est lui aussi un être faible, paumé. Et pourtant il n'a pas fait la guerre, contrairement à Quell. Ne supportant plus de voir son mari affaiblir son autorité sur Freddie de jours en jours, sa femme décide de reprendre les choses en main. Que l'on s'y méprenne pas, même tapie dans l'ombre, elle dirigeait déjà les "opérations". Elle ne veut plus d'alcoolique dans la maison? Très bien, alors elle menacera Quell de devoir partir s'il continue à boire, et son mari, lui, sera privé de toute pratique sexuelle. Ici, l'expression "tenir son homme par la peau des couill*s" est plus vrai que nature.
Elle force également son mari à exercer de nouvelles pratiques sur Quell, afin qu'il se dépasse. Ou perde les plombs, on ne sait trop. Dodd demande alors à notre homme "indépendant" d'aller d'un bout à l'autre d'une pièce, toucher les meubles ou fenêtres qui s'y trouvent, et décrire ce qu'il touche. L'exercice n'est pas très concluant (peut-il toutefois l'être?), et Freddie perd peu à peu les idées, répétant continuellement l'exercice.

Mais un jour, il s'en va. Partir, mais à quoi bon? Tout d'abord, il veut revoir son ancienne amour (la seule?) qu'il ait jamais connu. Malheureusement, celle-ci a refait sa vie, est mariée, et a des enfants. Quell est désormais seul, mais comme il le dit si bien, il n'a pas de maître, et a toujours fait ce qu'il entendait vouloir faire. A la fin, c'est finalement lui qui s'apprête à devenir le Maître de quelqu'un..

Pas facile de résumer ce film, d'un potentiel énorme. Anderson, à travers l'imposibilité pour Quell d'être "dominé" par un Maître, démontre l'inutilité des Sectes, mais aussi leurs pratiques ridicules et répétitives, destinées à faire naître des pathologies que les individus ne possèdent même pas.
Son film est d'autant plus efficace (effrayant?) que les acteurs sont fabuleux. Ainsi, Amy Adams, d'abord effacée, s'affirme être un grand personnage féminin, pleine de "poigne" et (mauvaise?) volonté. Mais vous vous en doutez bien, ce sont surtout Phoenix et Hoffman que l'on remarque le plus. En maître manipulateur, frustré, celui-ci est génial. Il est loin le temps de l'infirmier Phil Parma dans Magnolia, du perchiste gay dans Boggie Nights, ou bien du maître chanteur de Punch-Drunk Love. Ici, l'homme a bien murit. Et Joaquin Phoenix alors? Pantin désarticulé, il ne cesse de nous prouver qu'il est bien l'un des meilleurs acteurs en activité. Son absence manquait cruellement ces dernières années.

Au fond, même si l'on ne trouve pas toutes les réponses, le cinéaste a le mérite de nous poser beaucoup de questions. Quell n'est-il pas finalement le propre "Master" d'Hoffman? Une sorte d'objectif à atteindre, mais qui restera toujours intouchable?

A vous d'en juger. Mais ce qui restera sûr, c'est que ce film à la mise en scène parfaite, ne vous laissera pas indifférent.
Le_Prophète
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2013

Créée

le 17 janv. 2013

Critique lue 496 fois

8 j'aime

4 commentaires

Le_Prophète

Écrit par

Critique lue 496 fois

8
4

D'autres avis sur The Master

The Master
Heisenberg
9

Complexes deux types

The Master, et c'est l'apanage des grands films tels que je les perçois, cache derrière sa perfection esthétique, sa classe et sa mise en scène d'une précision horlogère, des tournures narratives un...

le 5 déc. 2012

95 j'aime

16

The Master
Anyo
9

Confrontation Mutuelle

Paul Thomas Anderson peaufine son art de film en film. Après la frénésie de ses débuts et de ses films chorales tous impregnés d'une insouciance formelle manifeste, le cinéaste américain semble...

Par

le 9 janv. 2013

89 j'aime

6

The Master
guyness
6

La voie de son maître

Impossible de parler de ce film sans en dissocier absolument la forme souvent somptueuse, du fond pour le moins déroutant, pour ne pas dire abscons. The Master, haute définition La (grande) forme...

le 20 mai 2013

47 j'aime

9

Du même critique

Ghost
Le_Prophète
7

I neeeeeeeeeeeEEEEEEEEEeeeeeed your loveeeee !

Il y a des films que l'on a quelque peu honte d'aimer. Ghost fait assurément partie du lot. D'autant qu'il réunit tous les éléments niais et clichés du film de genre, et que les effets spéciaux sont...

le 15 avr. 2013

30 j'aime

5

Les Griffes de la nuit
Le_Prophète
8

"I Have a Dream" qu'il disait.

Le moins que l'on puisse dire, est que Wes Craven et John Carpenter (sans oublier les très bons Argento et Romero, mais dans un genre bien différent) sont sans conteste les maîtres de l'horreur...

le 22 avr. 2013

29 j'aime

Oblivion
Le_Prophète
4

Au pays des blockbusters, Tom Cruise est roi

Un bon travail, un conjoint (que l'on aime pas forcément), et une jolie baraque: voilà qui a de quoi rendre heureux. D'entrée de jeu, le film s'avère donc être une féroce critique du conformisme...

le 18 avr. 2013

27 j'aime

9