Le Donut russe pour Démocrate américain

Un Donut russe ...


À couteaux tirés confirme ce qu'est Rian Johnson en termes positifs.
C'est un auteur génial, réalisateur sympathique, qui aime donner dans l'écart esthétique.
Le réalisateur de Looper propose ici un whodunit ou polar à énigme - soit un récit policier où l'on recherche l'identité du criminel (type Cluedo) - qui, très vite, va se métamorphoser en howdunit ou policier par procédure - soit un récit policier où le but de de découvrir comment a procédé l'assassin ou bien comment le policier va le découvrir (type Colombo) - avant de redevenir sous nos yeux ébahis à nouveau un whodunit qui demande à un ultime howdunit de le justifier. Le héros, Benoît Blanc, ersatz d'Hercule Poirot, compare cette affaire à un donut, confiserie trouée en son milieu, recelant un autre donut en son centre. La résolution finale n'est pas nécessairement prévisible mais n'a sans doute pas non plus le panache d'une de celles qu'on aura échafaudées. Les révélations surprenantes de Rian Johnson ont parfois ce goût de surprise qui surprend mais laisse froid ou déplaît.


Ici, on regrettera peut-être à un bouleversement informationnel de situation que le récit ne choisisse pas de rejoindre sagement les Petits Nègres pour se faire plus terrible et plus efficace.


C'est en tout cas un donut dans la règle de l'art: un beau décor pour un quasi-huis-clos, des flash-backs témoins et un casting étoilé. Daniel Craig, improbable Hercule Poirot, campant impeccablement Benoît Blanc, se retire de son interprétation bondienne ... pour donner finalement ce qu'on pourrait attendre de son 007. Excellent limier, son personnage mêle l'élégance de l'aristocrate anglais intriguant et la simplicité d'un détective privé jovial et débonnaire. À ses côtés, Chris Evans (Captain America,Opération Brothers ), Ana de Armas (Blade Runner 2049, Knock Knock), Toni Collette (Sixième Sens, Imperium), Frank Oz (Star Wars, le Muppet's Show) - plus anecdotique, en notaire, Jamie Lee Curtis (Halloween, True Lies), Michael Shannon (Man on steel, La Forme de l'eau), Christopher Plummer (La Mélodie du bonheur, Benjamin Gates) et Joseph Gordon-Lewitt (Inception) pour un caméo. Dans cette galerie de talents, retenons Chris Evans, en pleine transition de sortie du MCU cette année et qui, après un End Game très réussi pour ce qui le concerne et le plus que bienvenu Operation Brothers, confirme sa capacité et sa volonté à jouer autre chose qu'un super-héros, quelque chose de plus profond ou de plus sombre. Retenons aussi Ana de Armas, aux anti-pôles de son rôle de petite peste de Knock Knock, qui se voit confier le rôle majeur du métrage bien qu'entourée de monstres sacrés (ou peu s'en faut) du cinéma.
C'est d'ailleurs à travers elle que passent les deux messages majeurs du film: un message positif, purement moral, dans la lignée de certains Agatha Christie, sans doute un peu guimauve mais propre à accompagner un polar, et un autre plus agaçant, plus négatif, exclusivement politique, assez hors-sujet, qui parasite le polar pour en faire une tribune. Le message qui fait de ce donut une douce et belle sucrerie est la défense de la bonté, l'humilité et l'abnégation, valeurs de l'héroïne, résurgence du conte de fée propice à la transcendance du policier.


... pour Démocrate américain.


Là où le bât blesse, c'est lorsque cette transcendance passe par la discussion de bar, la prise en otage du spectateur venu se divertir et contraint d'entendre - même en ad absurdio - la propagande politique d'un parti quel qu'il soit.
Dans certains cas, ce sont les Républicains, qui insinuent des terroristes dans les moindres recoins. Dans À couteaux tirés, ce sont les Démocrates, qui peuplent les foyers traditionnels nords-américains de racistes de tous poils dont le seul sujet de conversation serait l'immigration sud-américaine. Rian Johnson montre qu'il peut être aussi un militant qui oublie qu'il construit une fiction pour la noyer de messages politiques.
Le réalisateur des Derniers Jedi propose alors le tableau de la descendance gâtée et dépravée d'une famille traditionnelle qui doit apprendre à vivre sans l'aide de l'Empire construit par son aïeul, qui laisse le fruit du travail de sa vie à une jeune sud-américaine qui lui servait d'infirmière. L'occasion de fustiger la société américaine et de donner dans le facile "Familles, je vous hais !" d'André Gide et de certains lecteurs de ses Nourritures terrestres (lecture présidentielle). L'occasion aussi de jouer les réalisateurs engagés, Johnson s'imaginant sans doute porter les lauriers de Fritz Lang luttant avec Hitler sous l'Empire maléfique de Dark Trumpitine.
Raison ou tort, le message politique se marie mal avec l'ensemble du reste du film, le parasite au point que, très vite, seuls trois personnages ressortent comme détective et coupables potentiels. Il suffit de voir combien les vedettes de très attendu Mourir peut attendre font ici leur tour de chauffe d'une part et combien, d'autre part, des Frank Oz, Toni Collette ou même, et c'est là le plus grave tant cela rappelle le pire des Halloween, Jamie Lee Curtis, la vedette la plus incontournable du film, sont laissés sur le carreau en simple meubles vides, posés là aux temps forts du film pour faire tapisserie de luxe. Quelques minutes en début de métrage exceptées, nul ne pourra les soupçonner, se les représenter commettant le meurtre, ou ne serait-ce que leur trouver un mobile ou un alibi. Ils ne sont là que pour servir l'illusion d'un vrai-faux-vrai-partiel whodunit et, éventuellement, parer immigration et testament, oubliant totalement qu'un meurtre vient de se produire au-dessus de leurs têtes la veille et l'avant-veille.
N'est-il pas triste de voir se résoudre une affaire tournant autour d'une lettre à l'encre sympathique en deux scènes initiale et finale, comme un cadre atour du film, Jamie Lee désoeuvrée, une cigarette aux doigts, dans une posture snob ?


Guide Michelin: ** - *


Le donut si excellent soit-il aura un goût doux-amer, son fourrage politique l'empêchant d'être pleinement goûté. Il a néanmoins très bon pour tout le reste et trouve sa parfaite métaphore dans son décor qui allie assez arbitrairement le manoir des vieux polars et les portables connectés sur Google.
On aurait tort de le bouder, de ne pas l'apprécier, car Rian Johnson se permet avec lui un nouveau coup de maître pâtissier. Simplement fictionnariens allergiques à la récupération politique, s'abstenir ou bien visionner en laissant glisser sur l'assiette le nappage malheureux.

Frenhofer
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le 23 déc. 2019

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Frenhofer

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