Jerry Chester attendait son compère de toujours qui était parti se chercher un café. Il avait posé ses pieds sur le vieux bureau en bois qu'il y avait devant lui, comme pour mettre en avant les nouvelles chaussures en cuir qu'il venait de s'acheter. Comme cela faisait plus d'un d'une demi-heure que Tom était parti, Jerry s'était mis à feuilleter un bouquin, un policier. Son genre littéraire de prédilection qu'il avait découvert vers la fin de son adolescence, si ce n'était avant. Là où il en était, le détective belge perspicace s'apprêtait à réveler à tout son auditoire l'identité de l'assassin. L'atmosphère devenait de plus en plus pesante, si ce n'était glaciale. Les huit accusés étaient tous assis sur le canapé. Chacun avait ses raisons de tuer mais pourant, il n'y avait qu'un seul meurtrier. On sentait que la tension montait de plus en plus et que, ligne après ligne, on était tenus en haleine par ce suspens hitchockien qui...


"Jerry ! Tu devineras jamais."


Visiblement, le dénouement devra attendre. Tom Siegel venait d'entrer dans la pièce.


"Tu n'étais pas sensé revenir avec un gobelet à café ? Je veux bien admettre qu'il y ait la queue ou que la machine soit en panne mais là, quand même, je pense que t'abuses un peu.
- Nan je ne crois pas. On a une commande qui tue.
- Qui tue ? T'as intérêt à te justifier. Et vite. Tu m'avais fait le coup pour Blade Runner il y a quelques années. Dois-je te rappeler le score du box-office ?
- Sans façon merci. Dis, j'ai eu le réal' d'un des derniers Star Wars au téléphone. Et il veut qu'on écrive un film pour lui.
- Le réalisateur de L'ascension de Skywalker ou des Derniers Jedis ? Je dois admettre que j'ai du mal à suivre.
- Celui du huitième film.
- Qui est ?
- Les derniers jedis.
- Ah !
- Pourquoi cette réaction ? Y'a un problème ?
- C'est pas le film qui s'est fait démonté sur Twitter par plus de la moitié de la fan-base ? Tu sais, celui où le réalisateur a reçu des menaces de mort de la part de certains geeks un peu trop puceaux qui accordent un peu trop d'importance à une série de films.
- Tu as un peu trop raison, en effet."


Jerry ne cacula pas la blague qu'on venait de lui faire. Il n'avait même pas remarqué que s'en était une. Derrière ses lunettes on pouvait voir un regard qui témoignait d'une certaine détermination : il voulait une réponse. Et vite. Il refusait d'attendre. Il voulait qu'on lui explique tout, là maintenant, tout de suite. Peut-être qu'à défaut de connaître la suite de son livre, il pourrait avoir une explication de la part de son pote. Intimidé par ces yeux qui lançaient des éclairs, Tom n'eut d'autre choix que de la lui donner.


"Eeeeh... Si. C'est celui-là. On bosse pour ce type maintenant.
- "Qui tue" hein ?


Le ton de Jerry était devenu un poil plus cynique.


-Oui justement ! Et...
-Et en quoi c'est une bonne nouvelle ? Tu crois que j'ai envie de me faire scalper par une armée de nerds en colère ?
-Non t'y es pas. Même si le principe reste identique. Ce qu'on va faire, c'est qu'on va prendre du vieux, le recycler et en faire du neuf. En d'autres termes, on ressucite les morts. Et...
-Ah ouais ? Genre on a eu une autre saga à succès ? Tu remercieras ton gars mais tu lui diras qu'on n'est pas intéressés. Le mec a soit-disant massacré Star Wars, alors je n'ai pas trop envie de participer au meutre d'une autre franchise. Et puis, t'as vu Terminator ? Je ne ne veux pas faire ça non plus. C'est un tel merdier qu'on ne s'y retrouve même plus...
-Jerry, on va faire mieux que ça. On va...
-Parce que Mad Max c'était du bon, Jurassic World un peu moins, mais Genisys, il puait la merde. Même si c'était un divertissement honnête...
-Jerry on va...
-De toute façon ils auraient dû s'arrêter au trois, mais on vit dans un monde où l'argent gouverne tout alors...
-Jerry on...
-Mais du coup Genisys, il fait parti de la timeline officielle ou il ne compte plus depuis que Dark fate est...
-Mais laisse moi parler bordel !"


Un bruyant silence remplit le bureau des scénaristes, à cause de son énervement qui s'était transformé en remarques à la con, Jerry ne s'était pas rendu compte qu'il avait coupé la parole à son ami plus d'une fois. On laissa cinq secondes de répit. Jerry leva les yeux au ciel, comme si il était consterné par quelque chose, puis Tom reprit :


"Merci. Pour répondre à ta question non, on a aucune saga. Aucune franchise, on a rien. Juste une idée générale : le produit final doit ressembler à ça !"


Il pointa du doigt le livre que Jerry tenait dans les mains.


"Du Agatha Christie ? s'exclama l'intéressé.
- Exactement !
- Mais... Pourquoi ?
- Le réal' a envie de faire du policier. Il m'a pas dit exactement pourquoi.
- Mais pourquoi il veut réaliser un film aussi complexe que celui-là alors que tout le monde le déteste ? Hein ? Pourquoi ?
- Je ne sais pas... Pour remonter sa cote de popularité peut-être ? Oh et puis va savoir. Moi du moment que je suis payé ça me va. Tu me suis ?
- Je ne sais pas, laisse moi le temps de réfléchir.
- C'est bien payé. Vraiment bien.
- Combien ?
- Une somme à cinq chiffres.
- Ma réflexion fut de courte durée. J'accepte."


Et le script fut écrit. L'histoire parlait de Benoit Blanc, un détective plutôt intelligent qui n'avait rien à envier au célèbre enquêteur de Baker Street. On avait prit pour lieu principal le manoir d'un vieil homme, un auteur de polars qui était devenu riche grâce à ses romans. Homme qui n'était pas sans nous rappeler une certaine écrivaine. L'endroit avait des passages secrets, une décoration rustique et était presque isolé de toute civilisation, soit le meilleur endroit au monde pour commettre un crime. En plus de cela on avait jugé bon de mettre une querelle familiale au centre de l'intrigue et comme chaque personnage était haut en couleur, c'était joli. Oh oui ça l'était. Exit les personnages fades des blockbusters hollywoodiens classiques et bonjour à ce que l'on nommait la complexité avec un "C" majuscule. Chaque personnage était presque une carricature de
ce qui existait dans la vraie vie. Pratiquement tout était critiqué. Cela allait des pensés extrémistes d'un jeune, pur produit issu de l'environnement bourgeois dans lequel il avait grandit, au narcissme exacerbé de celui que l'on avait rejeté depuis le début en passant par le portrait de la guiche de service que personne ne pouvait supporter. En d'autres termes, c'était la réalité telle qu'elle existait vraiment. Les scénaristes rajoutèrent ensuite une critique de la politique du clown qu'ils avaient comme Président et après s'être relus encore et encore, ils obtinrent un résultat plus que satisfaisant. Le tout était pour ainsi dire, presque parfait.


"On l'a ?" demanda Tom.


Jerry était reparti lire dans son coin. Il n'avait plus les jambes croisées sur le bureau. Celles-ci étaient en dessous du meuble, étrangement collées entre elles. Jerry était courbé sur sa chaise. Il ne répondait pas et était tenu en haleine par ce qu'il était en train de lire.


"Bon j'y vais, dit Tom. Je te laisse le manuscrit. Si tu trouves des trucs à rectifier, tu m'appelles et j'arrive de suite ok ?"


Jerry ne répondit pas.


"Allez salut Jerry. On se voit demain."


Puis tout d'un coup :


"Et merde !
- Quoi ?
- Putain je le savais !
- Mais de quoi ?
- Je savais que c'était lui l'assassin ! Je suis débile. C'était évident !"

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le 24 juin 2020

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