Atlantide, l'empire perdu
6.6
Atlantide, l'empire perdu

Long-métrage d'animation de Gary Trousdale et Kirk Wise (2001)

L'étincelle vient seulement d'éclairer le château du royaume enchanté formé sur la coque, tout juste visible grâce aux reflets de l'eau, que nous savons déjà que le voyage ne sera pas comme les autres. La citation de Platon vient confirmer cet avant-goût en vendant d'office la disparition d'un continent mythique dont nous allons être les témoins. Nous n'avons pas le temps de contempler l'horizon qu'une lumière aveuglante ravage l'étendue, les images cataclysmiques ne sont pas sans faire écho aux événements contemporains, dignes de l'ouverture d'un film catastrophe où des faits inexplicables sont vécus par une petite fille. À travers ses yeux, nous vivons la dernière heure d'un puissant empire maritime et quittons cette enfant en sachant qu'elle reviendra comme guide le moment venu. La carte est refaçonnée par les vagues et tout un monde s'enfonce dans les profondeurs pour n'exister désormais dans la mémoire collective que par les écrits.


Peine-t-on à croire qu'une entrée en matière aussi violente ait été décidée sur le tard alors qu'elle affiche fièrement les intentions qui ont donné vie à Atlantide, L'Empire Perdu. Sortant du controversé Le Bossu de Notre-Dame, Gary Trousdale et Kirk Wise veulent s'éloigner des comédies musicales et préparer le Disney de demain, celui qui accueillera à bras ouverts un public plus âgé mais qui remettra en vigueur un cinéma à l'ancienne à l'aube du tout numérique. De l'aveu de ses réalisateurs, les inspirations doivent venir d'ailleurs, puiser dans les oeuvres qui ont nourri des imaginaires opposés. Les noms contactés certifient la démarche, avec notamment le retour du scénariste Tab Murphy qui aura pour tâche de concevoir le premier draft comme s'il écrivait pour un format live action, amenant à une première durée estimée à 3 heures, et le dessinateur Mike Mignola dont le style si identifiable devient la boussole graphique du projet, l'auteur de Hellboy refilant des concepts aux équipes en plus d'être un membre majeur de la production design.


Le fait de créer un univers de toutes pièces et de ne pas reposer sur une histoire préexistante rendra le développement à la fois plus complexe et plus enrichissant pour les studios qui s'engagent sur un terrain où ils n'ont jamais osé aller. Bien que les têtes pensantes veulent faire ressortir un hommage aux grands films d'aventures de l'âge d'or hollywoodien, de 20 000 Lieues sous les Mers à Voyage au Centre de la Terre, ainsi qu'aux propres productions de la compagnie comme L'Île sur le Toit du Monde et Les Robinson des Mers du Sud. La participation de Mignola, elle, promet un trait hérité du comic book, le mélange rétro/Sci-Fi lorgne droit vers le steampunk et les personnages doivent se libérer des carcans disneyens pour rester dans l'ère du temps. Pour s'assurer de la réussite de l'entreprise, Mark Okrand est même appelé pour inventer un langage spécifique au film, venant s'ajouter à ce vaste plan qui doit déboucher sur de nouvelles perspectives et offrir une oeuvre moderne qui parlera au plus grand nombre. Faire tout ce que la boîte ne fait pas ou ne fait plus, telle est la pensée-maîtresse, quitte à ce que des rapprochements très suspects soient faits avec d'autres fictions populaires (parmi les plus connues, l'animé Nadia, Le Secret de l'Eau Bleue et le blockbuster Stargate, La Porte des Étoiles).


En renouant avec le CinemaScope, 16 ans après sa dernière utilisation dans Taram et le Chaudron Magique, Wise et Trousdale formulent leur désir de revenir à un format rattaché au grand spectacle, profitant de la largeur du cadre pour sans cesse étendre leurs espaces et faire ressortir toute la démesure des vaisseaux et des environnements à l'écran. La souplesse des travellings vient amplifier l'impression de gigantisme et de profondeur, tant pour la plongée du Ulysses, le Nautilus du film qui ne fait pas long feu, dans les abysses que pour la contemplation des panoramas, époustouflants de beauté. Le 2.39:1 multiplie intelligemment les points de vue sur une même image, parfois pour séparer les personnages selon leurs relations (les repas au campement, les réactions individuelles face à un événement surnaturel), gérant parfaitement la distance physique entre eux, parfois pour au contraire les réunir sur un alignement. L'amassement humain passe ainsi comme une lettre à la poste, divers figurants avec des tâches et des occupations différentes étant disposés là où la place le permet (la répartition des postes dans le sous-marin avec une machinerie impressionnante, celle des indigènes dans la cité avec les marchés, les ports et les résidences) tandis que les scènes moins chargées fonctionnent tout aussi bien, la proximité des visages en plan plus serré venant renforcer leur intimité (la poche d'air où notre couple vient reprendre sa respiration, leur première rencontre). Atlantide, L'Empire Perdu n'a certainement pas à rougir face à La Belle et le Clochard et La Belle au Bois Dormant, se dressant comme un modèle d'exploitation du scope dans le domaine de l'animation.


En faisant de l'Atlantide la civilisation-mère, berceau de toutes les cultures terriennes, les équipes créatives veulent que l'esthétique atlante n'apparaisse pas comme influencée par les autres mais qu'elle soit matricielle. Les architectures et la direction artistique s'approprient de cette façon l'art africain, asiatique ou encore sud-américain pour en faire un habile mélange aux faux-airs de prototypes (masques, palais, lances, statues etc...) uni à l'imagerie originale conçue pour le film, la population locale ayant notamment la peau noire et la chevelure blanche. Ce travail de recherches se manifeste via des décors majestueux dans l'esprit des réalisations de Hayao Miyazaki comme Le Château dans le Ciel, dépeignant un empire en ruines dont les vestiges tracent le chemin sous-terrain jusqu'à la cité-capitale qui, elle par contre, préserve la vie. L'omniprésence de l'eau, de la faune et de la flore dans les édifices atlantes dégradés (la salle du trône, les temples, les logements) appuie le contraste biologique du lieu où les survivants du génocide se laissent lentement mourir en abandonnant leurs acquis d'antan. L'étalonnage joue un rôle-clé dans cette représentation, offrant une remarquable gestion de la lumière au cours de l'histoire avec des assombrissements très réussis (les fausses tombées du jour) et une vraie harmonie luminique (le bleu comme couleur-conductrice, l'aquarium géant de Whitmore, l'énergie cristalline).


Les technologies développées sur Tarzan continuent à être perfectionnées et à donner une plus-value aux séquences nécessitant le plus d'effets spéciaux. Si les années 2000 sont marquées par des hybrides 2D/3D encore perfectibles, comme le Titan A.E. de Don Bluth, Disney n'ont recours aux images de synthèses que pour les compositions les plus délicates où les mouvements doivent garder la même fluidité qu'un dessin fait à la main. Les animations sont au même rythme peu importe la technique employée et conservent une homogénéité des plus appréciables, les batailles sous-marines ou aériennes gagnent en impact avec des confrontations dynamiques et un espace tridimensionnel exploité à très grande échelle. Les véhicules et les machines de guerres sont tout aussi malignement incrustés, les appareils modernes comme atlantes restant raccords avec le tracé et l'identité visuelle, meilleur exemple s'il en est, la confrontation avec le Léviathan, monstre biblique se démarquant par son exosquelette mécanique et annonçant l'écart technologique énorme en dépit des siècles passés, les créateurs du gardien restant en avance sur leur époque. La mise en scène s'en retrouve décuplée, comptant des plans contemplatifs forts en sens tels que cette ascension sur l'un des sommets de l'Atlantide accompagnée d'une superbe rotation de la caméra, posant en quelques secondes un vrai paradis terrestre avec ses formes sphériques, ses nuages de vapeur, sa verdure et son eau à perte de vue, comme si cette cité pouvait refléter la planète à elle-seule, que le centre du monde était un tout autre monde, une vision d'endroit éthéré que respecte l'épilogue, dévoilant l'empire sous un nouveau jour, resplendissant dans sa reconstruction et sa reprise en main.


L'entretien du mystère entourant la survie de ces guerriers millénaires et la réponse qui en découlera sont l'argument essentiel du visionnage, mettant souvent le spectateur sur la voie sans que ça ne lui saute aux yeux à cause de toutes les questions qui le préoccupent et de la passivité des hôtes. L'arrivée à destination révèle suprenamment un milieu environnemental totalement vivable et habitable ainsi qu'un écosystème unique en son genre, éclairé par une lumière semblable à celle d'un Soleil naturel, donnant l'illusion d'un autre ciel existant sous la terre. La clé s'avère être basée sur une pierre bleue théorisée par Edgar Cayce, l'idée la plus fascinante du long-métrage, celle d'un Cristal-Mère à l'origine de la montée en puissance et de la chute de l'Atlantide. De lui émanent trois grandes thématiques autour de la religion, de l'intelligence artificielle et de l'arme nucléaire. Si le film passe sous silence les origines extraterrestres de cette roche magique (ainsi que sa date d'arrivée sur la planète bleue, nous faisant demander si elle est née avec les Atlantes ou est-ce qu'elle les a plutôt élever vers un stade suprême), il donne des indices par petits morceaux afin d'imaginer la descente aux enfers que les réalisateurs ne nous content pas entièrement.


Ayant profité par pur hasard des bienfaits et des ressources du Cristal, la civilisation atlante synthétise les maux et les symptômes doctrinaux de l'espèce humaine, dans tout ce qu'elle a de plus paradoxale. Wise et Trousdale évoquent des rapports de domination passionnants entre les hommes et leurs divinités, la vénération et les luttes de pouvoir mutant en un lien dangereusement toxique, un échange énergétique où est marchandé un sursis de vie contre un asservissement, ceci allant jusqu'à une dépendance vitale, obligeant les Atlantes à porter continuellement leurs colliers et à recharger leur dieu par leur foi. Celui-ci n'acquiert pas seulement une conscience mais rend également la justice, décidant qui a le droit de vivre et de mourir et choisissant ses élus, comme le montrera le règne de Kashedim Nedakh; le souverain voulant prendre l'ascendant et renverser les rôles préétablis, faisant d'un organe de pouvoir une arme de conquête et bientôt d'extermination (la résistance athénienne comme seul frein à l'expansion territoriale, une anecdote intégrée à la mythologie mais retirée de la final cut) et recevant ainsi une réponse punitive. La bénédiction devient de ce fait une malédiction, condamnant à une vie éternelle les adeptes du Cristal et se servant d'eux comme d'une leçon pour que l'Humanité ne répète plus ses erreurs, ce qui manquera d'arriver quand 8000 ans plus tard, une expédition s'enfoncera dans les entrailles de la Terre, convoitant les trésors et détruisant la vie.


C'est lors de l'effraction dans la Chambre du Cristal que Atlantide, L'Empire Perdu sort sa meilleure carte, celle qui soulève tout le film et déploie son lourd potentiel. Synchronisé sur la splendide musique de James Newton Howard (qui nous régale d'une OST tantôt très symphonique tantôt empreinte de sonorités indonésiennes), le réveil du Cristal place les personnages, malgré leurs différends, dans une situation identique, tous oubliant quelques minutes leurs objectifs et restant ébahis face au phénomène se déroulant sous leurs yeux. En se connectant au Cœur, la princesse atlante déterre un souvenir familier. Rassurée, elle se laisse pleinement posséder par l'âme du fragment, étant autorisée à parler en son nom puis à fusionner avec lui. Il en résulte de cette transformation une ressemblance confondante avec celle de la défunte mère, sa fille héritant de sa structure faciale une fois les cheveux dégagés, et une déshumanisation qui rend perplexe quant à ses véritables intentions, personne n'étant capable de dire si une éthique habite encore ce corps. La métamorphose hypnotise, illustre une renaissance dans un tombeau, où orbitent les pierres des anciens rois comme si le cycle était voué à recommencer et qu'il remettrait incessamment en doute la longévité du genre humain. Enfin, Wise et Trousdale l'achèvent en amorçant astucieusement comment la cité s'apprête à être sauvée de la même façon qu'elle fût autrefois épargnée à travers des signes bien pensés comme les symboles atlantes gravés dans la roche de la chambre ou les projections n'atteignant pas le Cristal, rappelant la connexion sans équivalent entre les Atlantes et leur énergie qui réveille leurs protecteurs colossaux dans un final spectaculaire.


Au départ promis à une évolution de héros plus classique (discours de motivation, réveil du leader qui sommeille en soi, maniement des armes) avec les dilemmes vus et revus qui vont avec (sociabilité difficile, isolement en société), le personnage principal, Milo Thatch, a vu son écriture être exclusivement recentrée sur sa soif de connaissances, devenant un rat de bibliothèque mal à l'aise en public qui ne se préoccupe pourtant que de l'immatériel, d'une cause plus grande que lui et d'un savoir englouti sous l'océan. Il ne sera affecté par la trahison de son groupe que par rapport à ce que ça implique pour le peuple déchu et ne prendra les choses en main qu'au nom d'un idéal à perpétuer. Présenté pour la première fois dans le sous-sol du musée, caché des individus avec ses ses artefacts, et ce dans un Washington du XXème siècle qui n'intéresse pas les cinéastes, l'accent est tout de suite mis sur le devenir du trentenaire et sur l'état d'une Amérique qui ne regarde pas en arrière, d'où le motif rajouté du grand-père pour correspondre à ce sentiment altruiste.


L'apport d'un aïeul décédé est sur le papier poussif mais rejoint en vérité l'idée-phare de l'hérédité qui domine sur l'ensemble du film. Le millionnaire qui aidera le protagoniste à accomplir son but le fait par devoir moral, par besoin d'honorer la même mémoire que celle qu'honore Milo, d'un chercheur qui dédie sa vie aux autres. Dans cet ordre, vient également le Manuscrit du Berger, livre important pour les indications qu'il renferme mais suivant la logique d'une longue lignée d'explorateurs qui, tour à tour, se transmettent leurs mémoires dans l'espoir qu'un des leurs puisse un jour finir le travail. L'ouvrage est malheureusement réduit à un objet pratique dans la version finale alors que tout un passé avait été imaginé pour l'auteur, Aziz, ayant réussi à trouver l'Atlantide et à tout rapporter sur papier en espionnant les Atlantes pendant des années. Et cette notion de transmission philosophique aura une autre incarnation plus tardive en la personne de Kida, cherchant à rassembler les pièces d'un âge révolu pour faire renaître une ethnie presque éteinte. Ils partagent un point commun, leur absence de prééminence, d'égocentrisme et d'amour-propre, tous sont égaux idéologiquement en ne consacrant dorénavant leurs efforts qu'à un intérêt collectif. On ne pourra que regretter dès lors que la fin laisse les rescapés remonter à la surface, couverts de richesses, sans plus en dire alors qu'il était prévu que chacun fasse avancer le monde à sa manière (science, médecine, mécanique, étude des matériaux etc...), allant avec le message voulu.


En-dehors de ça, le film sait se montrer très subtil avec cette volonté de parité et d'union des talents. Il crée la sympathie en filmant sa princesse recevoir Milo comme si elle était une Atlante parmi les autres, sans jamais mettre en avant son titre. Le linguiste se retrouve en elle et les deux forment un beau couple axé davantage sur leurs responsabilités plutôt que sur leurs sentiments personnels. Des responsabilités qui s'expriment dans le dernier acte par des images très simples et efficaces. Contrairement à ses collègues, Milo ne reçoit pas un cristal unique mais porte celui que le roi lui a légué, sa place étant dans l'Atlantide et ses idéaux rejoignant ceux de sa nouvelle reine. Kida, quant à elle, revête un costume similaire à celui de sa mère et est désormais au sommet de la pyramide. Chacun se sépare du dernier objet icônisant leur parent inspirateur, la photographie pour Milo et la pierre honorifique pour Kida. Conscients des sombres secrets du passé et optimistes quant à l'avenir, leurs destinées s'unissent pour que l'empire puisse se relever, plus fort qu'il ne l'a jamais été, enfoui pour que son pouvoir ne perturbe plus l'ordre des choses.


Mais les sempiternelles limites d'une production Disney refont toujours surface. Et elles peuvent être résumées en deux mots, durée et hésitation. Atteignant tout juste les 90 minutes, Atlantide, L'Empire Perdu n'est pas du tout pensé et écrit pour restreindre un scénario aussi garni. En conséquence, le voyage est précipité et c'est la première moitié qui en pâtit le plus. Non seulement la navigation sous-marine ne prend pas plus de 5 minutes avant que le navire submersible ne soit réduit en miettes mais l'exploration sous la terre, soit la partie la plus importante de l'expédition, n'occupe qu'un petit quart d'heure à tout casser, finalement peu intéressant. C'est ici que les coupes se ressentent le plus puisqu'en effet, l'équipe devait se heurter à une ribambelle de créatures en tous genres (baleine de laves, ptérodactyles), perdant leurs unités une par une, et passer plusieurs challenges liés aux quatre éléments (éruptions de geysers, cavernes au souffle mortel), ce qui augmentait la tension et l'attente. La version cinéma n'en garde que des bribes placées un peu n'importe où (l'attaque des lucioles qui n'est raccordée à rien ou les membres qui sympathisent avec Milo, un changement d'attitude abrégé en une seule scène alors qu'ils sont aux portes de la cité).


Et la seconde partie n'est pas non plus exempte de reproches, s'empressant d'enchaîner information sur information pour rattraper le temps perdu mais accumulant des incohérences toutes plus grosses les unes que les autres (les Atlantes ayant désappris à lire mais étant encore multilingues), les réglant parfois par des ellipses artificielles (l'activation du poisson de pierre est complètement ignorée pour revenir comme deus ex machina lors de l'affrontement final; là aussi, un passage coupé voyait nos héros tester l'engin en faisant un tour de l'île) ou donnant l'impression de contredire les révélations à cause de clarifications scalpées pendant les réécritures (le Cristal à la fois condamnateur et sauveur de l'Atlantide). Nous avons affaire à un script ayant grand besoin d'être colmaté (la présence d'animaux terriens à l'apparence alien), bourré de trous plus ou moins graves (le revirement de la bande où l'absence de Sweet est bizarrement omise) et répondant si simplement à des énigmes qu'on peine à croire que ça soit vrai (la localisation de la Chambre).


Dû à cette obligation de raccourcir le plus possible le film, l'histoire bâcle ou annule beaucoup d'idées qui auraient rendu les enjeux plus solides (le contexte de la Première Guerre Mondiale comme un des moteurs initiaux de l'intrigue : la préparation à l'entrée en guerre, le but humanitaire de Whitmore), approfondi les personnages (Helga avait le même parcours mais avait une semi-rédemption avant de mourir, ses remords étant plus mis en évidence; Rourke était un agent au service des allemands et trahissait ses équipiers) et mieux équilibré le rythme (la romance originellement plus creusée durant une visite plus longue de la cité). Mais le plus gros gâchis reste l'arc de Kida, presque invisible et sacrifié alors que le deuil de sa mère venait compléter son alchimie avec Milo. Avec son pendentif servant de croix et sa divinité étant son seul accès au contact de la reine décédée, la métaphore religieuse aurait collé à la perfection à la recherche de la lumière céleste en plus d'épaissir la personnalité de la princesse. Le bracelet d'enfance déposé dans ses mains aurait alors eu un sens plus fort et l'émotion aurait été palpable.


N'osant pas assumer ses choix jusqu'au bout (les dialogues atlantes parfois sous-titrés, parfois non, deux interlocuteurs qui changent de langue sans raison dans une même conversation), le film a recours à une solution régulièrement agaçante pour rester en zone sûre, l'humour. La bonne majorité des rôles est composée de faire-valoir visant à éviter un style trop verbeux et sérieux. Et si certains tirent leur épingle du jeu (les remarques délicieusement cyniques de Packard, l'opératrice-radio), les autres récoltent le bonnet d'âne tant ils décrédibilisent la mission, nous envahissant de blagues de coussins péteurs, de rots, de fesses, de ventres gras et de vieilles dames à poil. À l'exception de la mécanicienne Audrey et du docteur Sweet, pas un ne se prend au sérieux. Il n'y a que leurs spécialités pour les définir malgré une camaraderie correctement retranscrite, leurs backstories étant expédiées et les seules retenues étant pour le gag (Vinny). L'animation en rajoute une couche en exagérant au maximum les expressions qui en deviennent ridicules et desservent le ton.


L'autre (et dernier) problème est que ces dessins finissent par être en décalage complet avec le jeu des acteurs. Le cas le plus flagrant étant Michael J. Fox dont la voix faible et étouffée ne colle pas une seconde avec Milo dès qu'il doit être plus tonique. Certains des comédiens savent être assez sobres, comme James Garner qui donne un tempérament calme bienvenu à Rourke, tandis que les autres plongent dans le cliché (Don Novello, Jim Varney et Corey Burton en tête). Seuls deux interprètes sont excellents : Cree Summer, légende du voice acting, qui souligne le caractère exotique de Kida de sa voix suave avec une diction parfaite en atlante et Leonard Nimoy qui apporte de la gravité et de la profondeur à son rôle. La version française ne commet pas la même erreur, constamment en phase avec le graphisme et s'adaptant mieux à la comédie. Luq Hamet insuffle la conviction et le mordant manquant à son homologue américain, les stars ne font pas tâche parmi les comédiens professionnels, tous très bien dirigés et rendant les interactions très vivantes, en plus de nouvelles répliques réussies.


2001 n'est pas une année de cinéma comme les autres, elle va voir apparaître d'immenses succès qui vont déteindre sur la décennie et laisser leurs empreintes sur une longue durée. Warner Bros triomphent en démarrant la saga générationnelle Harry Potter, Peter Jackson porte à l'écran Le Seigneur des Anneaux et du côté de l'animation, DreamWorks fédèrent un nouveau public avec Shrek tandis que Pixar continuent sur leur lancée via Monstres & Cie. Disney espèrent se faire une place et reprendre leur trône. Les studios prévoient déjà un nombre massif de déclinaisons pour accompagner ce qu'ils espèrent être leur mastodonte commercial. Des attractions à Disneyland repoussant les frontières de l'Imagineering, une longue série télévisée, Team Atlantis, dans la veine de X-Files et même une suite par le quatuor Wise/Trousdale/Hahn/Murphy. Atlantide, L'Empire Perdu doit marquer un avant et un après. Mais sa sortie sur le sol nord-américain va refroidir les ardeurs. Critiqué pour tout et son contraire (soit sa ringardise et son retard sur la concurrence soit son manque de charme propre à la magie Disney), le dessin animé reçoit un accueil plus que mitigé et ne convainc pas la presse, même son de cloche du côté des spectateurs qui n'y voient qu'une tentative désespérée pour ne pas admettre la défaite de la boîte aux grandes oreilles face à la domination des CGI. Le fiasco se prolonge au box-office où les chiffres sont bien plus bas qu'espérés, les États-Unis boudant la superproduction à 120 millions de $ et le reste du globe n'y prêtant pas attention. Après les échecs de Fantasia 2000 et de Kuzco, L'Empereur Mégalo, la liste des flops continue de se remplir malgré les scores honorables mais inconséquents de Dinosaure. La révolution n'a pas lieu.


Extrêmement ambitieux, Atlantide, L'Empire Perdu est à voir comme le grand film malade des Walt Disney Feature Animation. Les réalisateurs de La Belle et la Bête du Bossu de Notre-Dame échouent à maîtriser leur angle d'approche comme ils l'avaient fait en 1991 et en 1996. Riche mais incomplète, pertinente mais décevante, audacieuse mais enfantine, cette ultime collaboration entre Kirk Wise et Gary Trousdale frustre par ses promesses inachevées et ses exigences de produit familial mais demeure un captivant exercice créatif, transcendé par des fulgurances de mise en scène et une construction mythologique palpitante, auquel se joignent une magnificence formelle, des commentaires politiques surprenants et un cachet unique.

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le 2 sept. 2020

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Walter-Mouse

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