État des lieux de la police en France


Bac nord est un film-constat. Ni particulièrement pro- ni particulièrement anti-flic, il décrit l’état de la police en France, et spécifiquement à Marseille, aujourd’hui. Certaines scènes sont à la gloire des policiers, notamment leur exploit dans la mission de démantèlement du réseau de drogues, mais d’autres le sont nettement moins, notamment la scène dans le supermarché où deux policiers de la Bac font des paris sur la morale d’un jeune racisé, l’un pariant qu’il va voler le portefeuille dans le sac de la dame à côté de lui, l’autre pariant qu’il pèse juste un melon. Ce que relève surtout le film, et ce qui est dénoncé par des syndicats de police ou des lanceurs d’alerte comme Alexandre Langlois (cf. Thinkerview), c’est la hiérarchie, son imbrication avec les politiques, qui font, depuis leur bureau, porter le chapeau aux hommes du terrain. Les policiers obéissent, la trahison, les ordres, viennent du même endroit : l’administration (IGPN / Préfecture…) et c’est cela qui ternit leur image. Ce ne sont pas des héros, ils ne peuvent plus rien faire d’héroïque, même leurs valeurs, leur « éthique de flic » (proche du secret professionnel) est nécessairement brisée. La violence est intrinsèque, nécessaire et obligatoire. D’un côté les habitant.e.s des quartiers nord de Marseille sont violent.e.s, quasi animalis.e.é.s par la mise en scène, et de l’autre les flics sont abêtis : le futur père ne comprend pas grand-chose à la grossesse ou l’accouchement de sa femme ; la patience policière est inexistante, leur méthode brutale et non-diplomatique… En bref, il n’y a pas les gentils flics d’un côté et les méchants voyous de l’autre : il y a des méchants flics et des méchants voyous, il y a des pauvres d’un côté comme de l’autre, chacun avec leur méthode pour s’en sortir, obéir aux ordres ou se lancer dans le trafic de drogues. Les policiers sortent de la légalité en organisant une « collecte » d’herbe, c’est-à-dire en se mettant à arrêter les usagers et leur confisquer leur drogue, afin de récolter 5 kg pour tirer les vers du nez d’un informateur, certains sont même dealers… La boucle est bouclée, absurdité des dealers qui arrêtent des dealers, pour obéir aux ordres.


Le cinéma français a aussi un petit problème avec les femmes policières, qui sont nécessairement sexy et sexualisées (que ce soit par un réalisateur, ici Cédric Jimenez, avec Adèle Exarchopoulos, ou une réalisatrice, comme Anne Fontaine dans Police, avec Virgnie Efira : les deux femmes, à chaque fois, sont les personnages qui ont le plus d’empathie et d’humanité (pour un migrant ou pour son enfant). Bref, la police féminine ne semble pas encore être arrivée au 21ème siècle... La virilité nécessaire des hommes (réduits à cela d’ailleurs, des instincts, des muscles, des bagnoles) est surexploitée et la féminité des femmes largement accentuée. Merci les clichés !


Bac nord a des problèmes, mais ce n’est pas le point de vue (adapté d’un livre écrit par un policier). Les Misérables de Ladj Li, ou plus récemment La loi de Téhéran adoptaient aussi le point de vue de la police. Le problème de Bac nord est la polémique qui tourne autour, d’un film récupéré par la sphère politique. Alors qu’à la sortie des Misérables, Emmanuel Macron avait dit qu’il fallait s’occuper des banlieues, c’est cette fois-ci à Marine Le Pen de faire l’éloge de la vérité de Bac nord, dans une lecture erronée du film. Si le film sort en même temps que le budget et le plan de relance alloué par l’État à Marseille, il ne faut cependant pas faire de rapprochements trop étroits: Bac nord dénonce avant tout les milieux politiques et la hiérarchie policière, et non les trafics de drogues dans les quartiers nord de Marseille. Le problème du film, c’est aussi la musique de fin, House of the rising sun des Animals, dont l’un des couplets dit : « Oh mother, tell your children / Not to do what I have done / Spend your lives in sin and misery / In the House of the Rising Sun », comme si la solution était d’être bon. Tandis que le film n’a cessé de détruire le manichéisme des personnages et de la société, il retombe dans une niaiserie politiquement correcte qui évite le problème.
C’est aussi ça, l’état de la police en France : une incapacité à trouver des solutions durables, que ce soit au niveau politique, social… ou artistique.

Dormir_Debout
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le 10 sept. 2021

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