Tout en aimant beaucoup Bong Joon-Ho je ne connaissais absolument pas ce film, c'est donc avec un grand plaisir que je me suis attelé à ce visionnage. Et ce plaisir a été confirmé tout au long du film, d'une grande richesse tant dans l'écriture que dans la mise en scène.

L'introduction nous plonge directement dans l'action, le bruit qui démarre dès le départ et qui ne nous quittera pas jusqu'à la fin, que ce soient les aboiements, la musique au début et de nombreux bruitages basés sur les percussions (les noix, le chien dans le placard). Les nuisances sonores seront partout, du chant suraigu du perso au karaoké au bruit assourdissant du train, en passant et repassant par les différents aboiements des différents chiens.

A près un début très clair, nous observons déjà une rupture, la première d'une longue série, avec l'aspect plus flou et caché de la première apparition des personnages principaux. L'homme est d'abord vu de dos, et de côté mais flou, montrant déjà l'aspect faux-semblants de l'histoire avec la buée qui se forme sur la vitre. Le floutage des situations est constant dans le film, apportant son lot de mauvaises interprétations par tel ou tel personnage. Nous le voyons avec le perso qui se trompe en croyant attraper le chien aboyeur alors que cette première victime sera tout à fait muette, la femme et son bébé dans le train qui en voyant la fille endormie la prend juste pour une radine ou encore la femme qui croit que son mari est encore en train de boire alors qu'il est coincé à la cave.

Toutes ces situations semblent une volonté dénonciatrice de cette société manipulatrice et tricheuse qui nous trompe constamment. La dénonciation est d'ailleurs présente à bien des aspects, appuyant sur tel ou tel défaut humain et sociétal (l'employé qui fait du lobbying auprès de son patron, la corruption des profs, la mendiante dans le métro, détournements de fonds). Jusque dans la répartition des rôles avec les personnages féminins qui sont les seuls à travailler tandis que les hommes sont au chômage ou SDF, nous sentons un désir de dénonciation et de mise en lumière des aspects les moins glorieux de la société, ici avec l'inégalité des sexes. D'ailleurs dans le foyer de notre personnage principal, c'est lui qui est tyrannisé par sa femme et non l'inverse que nous voyons souvent, opérant ainsi un retournement des situations habituelles. Cet homme fera partie d'une sorte de chaîne alimentaire étrange, sa femme étant au sommet, lui se rabattant sur les chiens qu'il va offrir involontairement en pâture à l'homme de ménage qui se fait un plaisir de les cuisiner, pour se faire voler ses repas par le SDF. Chaîne ironique qui place la femme au sommet ce qui est trop peu le cas, et qui montre qu'il y aura toujours quelqu'un de plus malheureux et de plus désemparé, jusqu'à l'homme qui se mélange avec un tas d'ordures (contraste ici avec le tri sélectif dont fait preuve le perso principal).

Ce contraste que nous observons par rapport aux ordures (triées ou non), nous pouvons le voir sous différentes manière dans le film, autant au niveau de la forme que du récit. La caméra alterne régulièrement entre des plans sur les paysages qui constituent l'histoire (la forêt, le bâtiment sous toutes les coutures, la cave et se tuyauterie, l'ascenseur) et tous ces personnages qui y vivent, tout autant scrutés, de dos, de face, tout près ou plus largement. Le réalisateur se fait un plaisir de s'attarder sur des détails et des aspects multipliant les points de vue esthétiques. Lors de la longue séquence dans la cave où une oppression qui tient le récit est cassé par la courte scène de la blague téléphonique pour replonger tout aussi vite dans les limbes fermées du sous-sol aux côtés de notre homme qui essaye de s'en échapper.

La mise en scène de Bong Joon-Ho est tout autant que son récit d'une belle richesse, alternant les très jolis travellings se rapprochant et se détachant des personnages avec des plans en plongée et contre-plongée vertigineux nous laissant observer le bâtiment de la façon que l'on voudra. On passe allègrement de cadres serrés à des plans très larges, et de nombreux plans semblent restés fixes et se mouvent tout d'un coup pour avancer avec le personnage dans un simple appartement ou les méandres de la cave, n'hésitant pas à se poser quelques secondes sur les tuyauteries.

La violence est toujours présente dans ce film, soit montrée de plein fouet lors de dures scènes dont les malheureux chiens sont les victimes, ou évoquée lors des histoires racontées sur l'employé ou chauffage Kim, histoires dénonciatrices sociologiquement comme parlé précédemment mais aussi empreinte d'une grande violence du aux fins sanglantes à chaque fois. On flirte même avec le fantastique et l'horreur lors de la scène de la cave et de cette histoire de Kim, la caméra nous offrant une ambiance glauque et oppressante qui pourrait concurrencer de nombreux films d'horreurs.

Un des éléments que j'ai particulièrement apprécié dans ce récit, c'est le côté ironie du sort et la présence du hasard que l'on peut observer à de nombreuses reprises. Le hasard va arrêter la course du personnage principal lorsqu'il s'enfuit avec le chien et qu'il doit discuter avec une amie qui l'invité à prendre un verre ou encore la porte qui s'ouvre, stoppant brutalement la course-poursuite à travers le bâtiment. Le ticket de grattage que va trouver le perso et qui va lui faire perdre le seul chien dont il ne doit absolument pas perdre la trace. Et évidemment lors de la recherche de ce chien perdu qui va l'amener à demander des photographies, photographies de chiens perdus placardés pour la troisième fois, se retrouvant dans la situation qu'il a lui-même créer pour les deux précédentes propriétaires, et face à sa poursuivante qui a du subir indirectement les dommages dues à ces deux pertes précédentes, et qui va à présent l'aider.

Pour finir (parce que sinon je crois que je continuerais indéfiniment sur trop de choses, comme ce rouleau déroulé dans la pente puis sur le comptoir ou le chien qui tombe du bâtiment en même temps que les jumelles, deux parallèles qui relient entre eux les deux personnages principaux, et encore tant d'autres), je voudrais parler de ces éléments de rattachement entre la fin et le début du film, notamment avec les derniers plans sur les deux personnages principaux, presque identique dans leurs formes à ceux qui les ont présentés. Ou encore cette petite fille apparue au début et que l'on ne revoit qu'à la toute fin, la mendiante que l'on retrouve dans le métro ou les quelques plans montrant l'employé (même si ce n'est plus le même) buvant avec son directeur jusqu'à s'en rendre malade, sorte de boucle continuelle. Chacune de ses situations répétées se termine différemment par rapport au début du film, montrant la volonté de Joon-Ho de voir les choses changées, il semble presque nous indiquer la voie à suivre.

Autant de richesse dans le propos, dans le récit et la mise en scène, c'est beau. J'ai en tout cas été très heureux de découvrir ce film grâce à cette coupe elle-même déjà riche en découvertes.

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le 19 mai 2014

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Northevil

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