Believer 2
5.2
Believer 2

Film de Baek Jong-Yeol (2022)

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Believer 2 se présente comme une midquel plutôt inhabituelle, se déroulant pendant une période située dans l'opus original, cinq ans après le premier épisode à succès. Il est simplement incompréhensible pour ceux qui n'auraient pas visionné le précédent volet, et il risque également de désorienter les autres spectateurs en raison de certaines libertés prises par rapport au matériau original, surtout par rapport à la conclusion de la version « director’s cut » de 131 minutes. Bien que cette séquelle soit largement dispensable, elle offre tout de même quelques scènes d’action et de violence totalement gratuites, qui pourraient plaire aux amateurs de sensations fortes (coréennes). Mais Believer 2 met surtout en exergue les limites du « système Netflix » et son influence malheureuse sur la production audiovisuelle coréenne actuelle.


En juin 2022, Netflix crée la surprise au sein de la communauté cinéphile coréenne en dévoilant le projet d'une « suite » à Believer (2018). Le premier épisode au budget modeste et remake du film chinois Drug Wars (Johnnie To, 2012) avait étonné tout le monde en devenant le film coréen à atteindre le million d'entrées le plus rapidement à sa sortie, en seulement quatre jours. Il a ensuite dépassé les trois millions d'entrées, se hissant ainsi au 4e rang des plus grands succès du box-office local (et au 10e rang au total) avec cinq millions de spectateurs.


Alors que la conclusion de la version initialement diffusée en Corée laissait planer l'incertitude quant à l'issue de la confrontation centrale entre les deux protagonistes, la version ultérieure, sortie quelques mois plus tard en DVD (et à l'international), et prolongée de huit minutes, semblait exclure toute possibilité d'une suite éventuelle.


Believer 2 se présente davantage comme une midquel que comme une suite directe. Son intrigue s'entremêle finalement avec celle du premier opus, perturbant voire réécrivant plusieurs événements pour aboutir au même lieu que la conclusion du premier film, cette fois-ci sans laisser place au moindre doute quant à une suite éventuelle. Enfin, du moins en apparence, car avec Netflix, on ne sait jamais. Ces modifications constituent également l'un des points faibles majeurs de Believer 2, générant une confusion inutile tant pour les spectateurs qui n'ont pas vu l'original, en raison de sauts dans le temps maladroits et superflus, que pour le public familier du premier volet, qui pourrait reprocher les libertés prises avec le matériau d'origine. Mais comment on en est arrivé là ?


Netflix fait son entrée sur le marché coréen en 2016 en tant que pionnier, introduisant le tout premier service en ligne proposant un abonnement mensuel permettant un accès illimité à du contenu audiovisuel. À l'époque, ses concurrents se limitent soit à des chaînes de télévision payantes, soit à la vente individuelle de films. Malgré cette offre novatrice, Netflix rencontre initialement des difficultés à s'imposer, car les maisons de production coréennes sont réticentes à collaborer, limitant ainsi le catalogue à seulement 40 titres coréens.


Pour maintenir sa compétitivité, Netflix Corée opte rapidement pour un investissement dans la production de contenus originaux. Cette démarche se concrétise par la création de deux succès mondiaux successifs : le film de fiction Okja (Bong Joon-ho, 2017), et la série dramatique Kingdom, (13 eps, Kim Seong-hun & Park In-jae, 2019/20).


Okja représentait un véritable défi, avec Netflix allouant à Bong Joon-ho une somme substantielle de 50 millions de dollars. C'était un investissement considérable, d'autant plus que la production originale la plus coûteuse de la plateforme de streaming jusqu'à ce moment-là, Beasts of Nation (Cary Joji Fukunaga, 2006), avait coûté seulement six millions de dollars. Toutefois, ce risque s'est avéré payant, suscitant notamment une réaction intense (et donc une publicité positive) en tant que premier film produit par une plateforme de streaming à concourir en compétition officielle au Festival de Cannes en 2017.


Le succès mondial de Kingdom renforce la crédibilité de Netflix dans l'industrie ultra-compétitive des k-dramas. Cette série chamboule l'industrie avec son budget colossal de 30 millions de dollars (considérable pour l'industrie télévisuelle coréenne), son format peu conventionnel de six épisodes d'une durée variant entre 36 et 56 minutes, et la participation du cinéaste renommé Kim Seong-hun (Tunnel, 2016).


Mais c’est évidemment le succès colossal de Squid Game (9 eps, Hwang Dong-hyuk, 2021), série la plus regardée de tous les temps sur Netflix, avec le cumul de 1,65 milliard d'heures de visionnage en 28 jours, et qui leur permet de s’imposer comme leader du marché de la vidéo à la demande en Corée. En 2023, avec une part de marché de 35 %, la plateforme de streaming devance ses concurrents locaux Wavve à 21 % et Tving à 16 %. Après un premier investissement de 750 millions de dollars entre 2015 et 2021, suivi d'un second de 700 millions de dollars au cours de la seule année 2022, Netflix annonce en 2023 un plan ambitieux de développement de contenus sud-coréens sur quatre ans, avec un investissement total de 2,5 milliards de dollars.


Believer 2 résulte donc de la deuxième vague d'investissements, conçu à la fois pour attirer les abonnés locaux en tant que suite d'un film à succès lors de sa sortie, et pour le public international en respectant les critères habituels de la plateforme de streaming, promettant de nombreuses scènes d'action agrémentées d'une généreuse dose de violence gratuite, une « caractéristique » qui a contribué à forger la « réputation » du cinéma coréen. Le tout est enchevêtré dans une intrigue centrée sur le milieu de la drogue, l'une des thématiques phares de la plateforme à la suite des succès de leurs séries comme Narcos (3 saisons, 2015/18), Narcos : Mexico (3 saisons, 2018/21), ainsi que de nombreux docufictions, documentaires à sensations et dérivés, dont le k-drama Narco-Saints en 2022.


Cela constitue en grande partie l'échec de cette suite : tout d'abord, l'original ne semblait pas nécessairement appeler à une séquelle. Jeon Cheol-Hong est ainsi confronté à la délicate tâche de succéder au quatuor composé de Wai Ka-Fai, Yau Nai-hoi, Ryker Chan et Yu Xi du Drug War original, ainsi qu'au duo Lee Hae-young et Chung Seo-kyung, les cerveaux derrière le premier volet.


Jeon Cheol-Hong, capable du meilleur (Crying Fist, Kundo), comme du pire (Heaven's Soldiers - Les soldats de l'apocalypse), est surtout renommé pour être à l'origine du plus grand succès coréen de tous les temps à ce jour, L'Amiral (Kim Han-min, 2014 ; 17,6 millions de spectateurs). Il se spécialise principalement dans les fresques historiques, à l'exception notable de Target (2014, Chang), un remake peu convaincant du déjà plutôt médiocre film français À bout portant (Fred Cavayé, 2010).


Pire encore, il s'aliène les spectateurs qui peinent à saisir l'intrigue sans avoir vu l'épisode précédent, tout en déconcertant les fans du premier volet en raison des nombreuses libertés prises par rapport au matériau original. Cette pseudo-suite perpétue la quête obsessionnelle de Jo Won-ho pour démasquer le « vrai Monsieur Lee » (qui diffère de celui révélé dans le premier épisode et qui constituait tout l'intérêt du film initial), afin de faire chuter son cartel de drogue. Le personnage principal apparaît encore plus antipathique que dans le premier épisode, et même le nouveau traumatisme lié à la perte d'un être cher (une répétition quelque peu simpliste d'un élément déjà présent dans le premier volet) n'excuse en rien son égoïsme absolu.


Le scénario déroule mollement un scénario inutilement alambiqué, se concentrant principalement sur l'enchaînement prévisible des séquences d'action. Il faut reconnaître que tout amateur de sensations fortes y trouvera son compte, avec une dose conséquente de combats, de fusillades, et de poursuites en voiture (utilisant une animation par ordinateur franchement médiocre). La violence, cette fois-ci, est portée à son paroxysme, comportant des scènes gratuites et insupportables, notamment une séquence de « brûlure », là encore réalisée avec en CGI dégueulasse, mais qui n'atténue en rien l'horreur de l'acte, et insister sur ce plan dans le but de choquer le spectateur demeure particulièrement marquant.


L'approximation de la mise en scène demeure une tendance récurrente dans les productions de Netflix, en particulier dans leurs récentes réalisations coréennes. Bien que des réalisateurs renommés tels que Bong Joon-ho, Kim Seong-hun, Yeon Sang-ho, aient signé plusieurs films ou séries, la plateforme de streaming confie fréquemment la réalisation à des artistes « de moindre envergure », comme c'est le cas ici. Baik (alias Baek Jong-yul) est principalement reconnu pour ses travaux dans la publicité et le visuel, n'ayant jusqu'à présent dirigé qu'une comédie romantique honnête, The Beauty Inside (2015).


Sans suggérer qu'il ne faut pas donner leur chance à des réalisateurs novices, il reste surprenant que des producteurs confient un genre aussi exigeant que le thriller ou le film d'action à des personnes manifestement moins expérimentées, notamment dans la capacité à filmer à la fois des moments de suspense et d'action.


Believer 2 ressemble donc à s’y méprendre à toutes les productions originales Netflix récentes : un film visuellement réussi qui se contente d’enchainer des séquences finalement interchangeables d'un film à l'autre, mettant en scène des personnages stéréotypés évoluant dans des décors esthétiquement attrayants mais dépourvus d'âme. Le récit se résume à une suite d'actions prévisibles, où les personnages se confrontent de différentes manières pour finalement parvenir à une conclusion. Dans le cas de Believer 2, au moins, il y a une certaine variété dans les lieux, les situations et les personnages, ce qui le place au-dessus de productions plus vides telles que Kill Bok-soon (Byun Sung-hyun, 2023) et Ballerina (Lee Chung-hyeon, 2023).


L’arrivée de Netflix, et des plateformes de streaming étrangères en général, a apporté à la fois des aspects positifs et négatifs. Du côté favorable, la visibilité des productions coréennes n'a jamais été aussi étendue ni aussi rapide : en quelques clics, des douzaines, voire des centaines de productions sont instantanément accessibles dans 270 pays à travers le monde. Du côté défavorable, Netflix persiste dans le défaut historique (occidental) de ne montrer qu'une fraction des films produits chaque année, souvent se limitant à certains genres à succès tels que les polars et les romances sirupeuses.


En s'immisçant de plus en plus dans la production, Netflix contribue à la pire des interventions : l'uniformisation des produits. Des thrillers d'action en répétition, interchangeables même à l'échelle mondiale, dépourvus de saveur particulière, d'âme, et de véritable « couleur locale ». Ce dernier élément est pourtant crucial dans le succès du cinéma coréen au cours des deux dernières décennies : la fusion d'influences étrangères avec des éléments profondément locaux pour créer un cinéma foncièrement distinct. Netflix applique une nouvelle fois la procédure qu’on devrait désormais savoir totalement néfaste à moyen et long terme de l'uniformisation et de la mondialisation. En espérant sincèrement que la Corée saura dans une plus ou moins proche avenir résister à ces « pressions étrangères » pour une fois de plus tirer son épingle du jeu et profiter de cette exposition incroyable pour véhiculer sa vraie image et qualités…


(texte, qui emprunte quelques idées et paragraphes de mon propre ouvrage « Hallyuwood – Le Cinéma Coréen », E/P/A Editions).


Créée

le 22 nov. 2023

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