"Bellflower" est un film qui avance masqué, dévoilant son identité et sa personnalité une fois qu'il s'est installé chez vous. Se présentant dans son synopsis comme une émanation du post-apo' à la "Mad Max" déconstruite selon les codes du film de la peinture de l'Amérique des marges. L'Amérique populaire blanche et désœuvrée pour de ces prémices et ces fondations scénaristiques ériger une histoire d'amour d'où le romantisme fleur bleue prendrait racines grâce au fumier répandu et constitué des deux ingrédients habituellement antinomiques à l'idée généralement admise de la romance au cinéma.


Woodrow et Aiden sont deux potes sans illusions, désabusés et ayant clairement fait le deuil d'un avenir radieux. Leur monde se résume à passer le temps, pallier à l'essentiel et naviguer de fêtes en fêtes et de beuveries en beuveries dans l'espoir de rendre cela moins déprimant. Mais ils ont une passion pour le film de George Miller "Mad Max" qui est devenu pour eux une bible à laquelle ils se réfèrent continuellement depuis leur enfance. Doués d'un évident talent pour la mécanique et le bricolage et armés de cette référence populaire, ils construisent le projet d'une voiture lance-flammes qui dans leur délire potache serait le véhicule idéal pour affronter et survivre à l'apocalypse qu'il pressentent, la "Medusa".

Le modèle et le look de cette voiture est un hommage assumé et gratifiant pour tous les fans de la légendaire "interceptor" du héros iconique de la saga australienne. Mais il y a autre chose qui fait lien et c'est l'impression de moiteur, cette chaleur plombant l'atmosphère à laquelle il semble illusoire de vouloir échapper. Cette ambiance étouffante qui dans le film servant d'inspiration, témoigne de l'état du monde après l'apocalypse, réduit à poussières et luttes sans merci pour la survie, va ici illustrer davantage l'écroulement moral d'un des deux amis, son apocalypse intime et ravageuse.


Woodrow, qui pourtant du duo nous était caractérisé comme le plus mature, va à la suite d'une rencontre inopinée entamer une relation bientôt passionnelle avec une femme. Or comme il arrive parfois, les deux amants n'avancent pas au même rythme et l'idylle du début s'étiole petit à petit, les signes d'une trahison se font jour sans que le concerné en prenne la mesure et la cruelle prise de conscience donne le départ à cette phase dépressive, destructrice, qui annihile toute volonté, cette situation qu'on a tous vécu, ne nous mentons pas, où dans un mélange ingérable de sentiments contraires et d'émotions exacerbées notre psyché déraille ne sachant plus si elle est en colère ou profondément peinée, ni envers qui se dirigent ces affects, ces moments troubles où on va rejeter les mains tendues par ceux qui nous aiment et en même temps chercher un réconfort physiologique en se consolant dans des bras n'ayant comme vertus que le fait d'être présents.


Pourtant Aiden reste fidèle à son pote, ayant accepté que ce dernier délaisse leur projet commun pour cette parenthèse amoureuse, il n'en a pas moins conservé son attachement envers lui et quand le moment est venu de soutenir et d'aider son ami de toujours il répond présent. Ramasse les débris aussi bien concrets que symboliques laissés dans le sillage de cette aventure s'étant achevée de façon abrupte et insoutenable pour Woodrow. Ce sont là deux frères en amitié et l'un a besoin de l'autre, y compris derrière ses silences, ses absences d'appels à l'aide exprimés ou même ses rejets. Il en profitera pour avancer sur "Medusa" pour quand son alter ego sera plus serein avoir alors un point de bascule d'attention qui l'aidera à rebondir et renouer avec sa joie de vivre.


Cette étonnante mixture aux ingrédients aussi disparates que l'ambiance d'une fin de monde, la proposition cinéma d'exploitation qui intervient dans le projet de voiture modifiée, la romance au demeurant très classique y compris dans sa conclusion et cette très belle amitié confrontée à la dépression font de "Bellflower" un film à l'équilibre rare. Qui de façon surprenante et inattendue ne va jamais nous donner ce qu'on attendrait de lui, déviant nos prévisions pour systématiquement nous surprendre jusqu'à sa conclusion.


La mise en scène appartient à cette catégorie désormais identifiée du "film indépendant de festival type Sundance" avec ces filtres photos rendant la pellicule jaune et ces plans débullés pour faire ressentir le projet "bigger than life" à moindres coûts, mais si on a déjà vu cela des centaines de fois, le voir réussi et finalement très adapté à l'œuvre qu'on regarde conserve sa part de satisfaction. Les différents rôles sont bien écrits, bien caractérisés et ne font pas juste office de fonctions mais ont tous une part influente à jouer dans le récit et l'ensemble du casting tient la route et sur le plan formel le film est notablement bon. Il est dès lors curieux que son réalisateur Evan Glodell ne soit pas parvenu à réaliser autre chose, car avec ce premier essai transformé, un premier essai attachant et convaincant on aimerait beaucoup le voir reprendre la boîte à outils et replonger dans l'atelier de la création filmique.

Créée

il y a 7 jours

Critique lue 1 fois

Critique lue 1 fois

D'autres avis sur Bellflower

Bellflower
Gand-Alf
8

Souvenirs brûlés.

Autant être prévenu d'avance, "Bellflower" n'est en aucun cas un thriller post-apocalyptique. Contrairement à ce que laisse supposer son imagerie directement inspirée de "Mad Max", ce premier film...

le 24 nov. 2013

31 j'aime

Bellflower
Marvelll
7

Apocalypse Love

Bellflower, un beau titre, une belle affiche, une bande annonce prometteuse faisait de ce film une de mes plus grosses attentes du mois de mars et j'avoue avoir été déçu. Le film s'éloignait de mes...

le 20 mars 2012

27 j'aime

6

Bellflower
Xidius
4

Critique de Bellflower par Xidius

Gagnant le grand prix du Jury au PIFFF, Bellflower raconte l'histoire de deux amis californiens dont la vie tranquille va être perturbée par l'arrivée d'une fille. Très juste dans sa peinture de...

le 1 déc. 2011

22 j'aime

10

Du même critique

Au boulot !
Spectateur-Lambda
6

Vu en avant première

On va tout de suite évacuer un truc, je suis une indécrottable gauchiasse et plus je vois l'état de notre société, plus j'affirme ma position politique et plus je trouve la droite dangereuse et...

le 5 nov. 2024

12 j'aime

1

Valeur sentimentale
Spectateur-Lambda
5

Critique de Valeur sentimentale par Spectateur-Lambda

Vu en avant première au cinéma Lumière Terreau dans le cadre de la sélection de films présentés au festival de Cannes 2025. Sortie salle en France août 2025.Parmi la sélection cannoise choisie par...

le 13 juil. 2025

11 j'aime

Elephant Man
Spectateur-Lambda
9

Critique de Elephant Man par Spectateur-Lambda

Alors que jusqu'ici David LYNCH n'avait réalisé que quelques courts métrages expérimentaux et un premier long métrage Eraserhead (1976) qui le classaient parmi l'avant garde artistique et lui...

le 3 oct. 2022

11 j'aime

5