A en entendre parler à tous les étages et sur tous les toits, j'avais de quoi craindre l'effet coquille vide, également appelé « effet Avatar ». Une bande-annonce aseptisée pour rameuter le plus grand nombre, une belle gueule en affiche à peine amochée par une fissure pas vraiment perceptible au premier coup d'oeil, un synopsis énigmatique qui laisse pour le moins sur sa faim... Pourtant, certains avis éclairés m'encourageaient indirectement à franchir le pas pour entrer dans la danse. Au sortir de la séance, rien à regretter, car Black Swan a comblé mes attentes, et plus encore.
A mesure que le cygne noir prend son envol, le film décolle et devient donc de plus en plus captivant. Une première partie polissée, belle et fragile, succède ainsi progressivement à une seconde torturée, agitée et éparpillée. En cela, le déroulement du film est à lui seul une métaphore de la métamorphose de (Nathalie Portman) en cygne séducteur, sulfureux et imprévisible, qui par une mise en abyme bien sentie charme les spectateurs du ballet comme du film. Et la comparaison entre le figurant et le figuré ne s'arrête pas là, car la perfection pourchassée par l'héroïne (ou l'ecstasy ?) est mimétique de celle de l'actrice qui fait totalement corps avec son personnage, au point d'en épouser les formes effilées et rachitiques de manière absolument bluffante. Côté français, l'interprétation de Vincent Cassel laisse penser que s'il n'avait pas expiré deux-trois mots dans la langue de Molière, on aurait pu croire que son accent coupé au couteau deviendrait la risée d'une majorité du public anglophone.
Pour rester dans les griefs, on peut ajouter que si le réalisateur ne prenait pas soin à plusieurs reprises de nous vendre la mèche avant de l'avoir brûlée, on pourrait presque ovationner des scènes qui ménagent le suspens de manière à dévoiler la folie en crescendo, à mesure que le sombre cygne déploie ses ailes.
Et puis, parce que je ne suis pas à un truisme près, je peux dire que Black Swan ressemble à une autre réalisation d'Arronofsky : Pi. Beaucoup moins opaque, voire brouillon autant dans la forme que dans le fond, le long-métrage est ce qu'on appelle un accomplissement dans la carrière d'un réalisateur : dans l'esthétique, comme dans la psychologie. Pourtant, on est là aussi face au fait accompli, propre à tout bon film faisant la tambouille de la dépression, de la schizophrénie et de la paranoïa : notre manque de clairvoyance face à ce qui relève du réel ou de l'hallucinatoire.
Au final, le dernier film d'Aronofsky est une oeuvre dure et majeure, un classique en puissance qui sera sans nul doute cité comme référence parmi les films qui se proposent de donner un visage à la folie.
Adrast
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Top 10 Ciné 2011 et Les meilleurs films de 2010

Créée

le 8 mars 2011

Critique lue 325 fois

3 j'aime

Adrast

Écrit par

Critique lue 325 fois

3

D'autres avis sur Black Swan

Black Swan
Kalian
2

Je n'irai pas refaire un tour du côté de chez Swan

Je pourrais faire mon hypocrite et laisser ouverte la possibilité que je sois passé à côté du film. Mais d'une part cela ne correspondrait pas à mon impression, et d'autre part il m'a tellement...

le 5 févr. 2011

305 j'aime

247

Black Swan
Aurea
8

De chair et de sang

Peu importe que le film regorge d'excès en tous genres, qu'il mélange conte, thriller fantastique et drame psychologique : c'est un grand film et la vision inspirée du monde ô combien noir de la...

le 25 juil. 2011

271 j'aime

111

Black Swan
Kalès
3

Un peu facile.

Portman qui fait la gueule tout le film : check. Esthétique immonde n'épargnant rien au spectateur en mode "la réalité, c'est moche" : check. Avalanche de bruitages répugnants et exagérés du style...

le 11 févr. 2011

160 j'aime

54

Du même critique

Comprendre l'empire
Adrast
6

Comprendre 1/10ème de l'empire

Avec un titre aussi prétentieux, accolé au sulfureux nom d'Alain Soral, il est facile de frémir, de se dire "merde, lire un truc de facho c'est déjà être un peu facho". Et puis on se dit que ce...

le 17 mai 2013

24 j'aime

5

Persepolis
Adrast
4

Court d'Histoire, long de clichés.

Je partais avec un a priori négatif. Après quelques minutes, j'ai révisé mon jugement pour apprécier l'univers pas si niais et rondouillard que j'imaginais. Puis je me suis ravisé. Tout au contraire,...

le 27 mars 2011

24 j'aime

13

Samurai Champloo
Adrast
5

Douche froide.

D'emblée, Samurai Champloo se laisse regarder en se disant qu'on voit un énième manga détroussé de son scénario, foutu aux oubliettes avec son cousin l'originalité. L'absence d'intrigue est ce qui...

le 23 févr. 2011

21 j'aime

9