Fort de ses 2h45 et de ses 12 années de tournage, Boyhood de Richard Linklater parvient à superposer énormément de qualités, qui en font un film à la fois épique et intimiste. C’est tout d’abord une œuvre expérimentale, qui propose un pari formel. Pari que Linklater relève avec grâce et intelligence. Préservant les mêmes acteurs et techniciens sur 12 ans, il nous offre une mise en scène cohérente de bout en bout, et surtout un scénario qui ne semble absolument pas régit par les impératifs de l’improvisation. Là où il aurait pu être un film gadget, une succession de saynètes rébarbatives, Boyhood parvient à être une belle histoire initiatique, celle de Mason Jr, et une réflexion brillante sur le passage du temps. En sachant capter des « moments », des instants apparemment sans enjeux, Linklater parvient à recréer cette sensation de l’enfance : le temps passe tranquillement, et pourtant les enfants changent imperceptiblement. C’est d’ailleurs probablement par l’ellipse que le film raconte le plus de choses. Cette étude du temps qui passe trouve tout son sens grâce au regard du personnage principal, celui de Mason, devenant photographe à la fin de son adolescence, et prenant conscience de l’importance du présent et des moments qui nous saisissent.
L’autre force du film, c’est la création des personnages, leur évolution psychologique, construite sous nos yeux au gré des événements. En 12 ans, Linklater a eu le temps de dessiner ses personnages plus que finement. Les changements physiques et moraux des deux parents biologiques, joués par Patricia Arquette et Ethan Hawke, sont passionnants et brillamment pensés : la mère, Olivia, qui semble effectuer les mêmes erreurs sans cesse en choisissant toujours le même homme depuis son divorce, et qui s’en aperçoit en même temps que le spectateur ; le père biologique, Mason Sr., apprenant difficilement à renoncer à sa liberté pour se « caser », tiraillé entre le rôle de père qu’il aimerait endosser et une posture d’éternel adolescent, pour finalement trouver refuge auprès d'une famille bigote. Au milieu de ces événements, qui sont comme une toile de fond du point de vue des enfants, nous voyons ces derniers, Mason et Samantha, se construire.
En s’approchant de l’adolescence, le film s’oriente alors vers la quête sentimentale de Mason, une quête de l’âme sœur mais aussi plus globalement l’apprentissage de ses sentiments et de l’homme qu’il souhaite devenir. Un apprentissage qui rappelle la saga Antoine Doinel de François Truffaut, réalisée sur 20 ans et en 4 longs-métrages et 1 court-métrage, avec son acteur fétiche Jean-Pierre Léaud.
C’est enfin, en filigrane, une observation sociale donnant à voir l’évolution des modes de vies américains (et donc, mondiaux), de 2002 à nos jours. Le film évoque aussi bien les retombées du 11 septembre et de la guerre en Irak, que l’élection d’Obama, divers phénomènes de mode culturels (Harry Potter, Twilight), ou encore l’apparition des Smartphones, de Facebook, et la peur de la virtualité et de l’incommunicabilité qui en découle.
Tous ces éléments, épars, riches, sont là, mais dans une grande discrétion. Le film semble avancer naturellement, comme la vie même, et c’est probablement ce qui le rend si beau et émouvant.